Buurtzorg : le futur du travail dans la santé
Billet du futur #77 : Récit de tournage chez Buurtzorg, invitation à une projection à Paris et nouvel épisode de podcast !
Bonjour à toutes et à tous, aujourd’hui j’ai envie de parler du futur du travail d’un secteur souvent exclu des discussions : la santé.
J’ai rencontré les équipes de Buurtzorg pour le tournage de WIP#3, l’organisation révolutionne le soin à domicile, notamment aux Pays-Bas, depuis plus d’une quinzaine d’années avec des pratiques qui inspirent déjà de nombreuses entreprises.
Bonne lecture,
Sam
Des pionniers depuis + 15 ans
Buurtzorg est une organisation créée en 2006 par un infirmier, Jos de Blok, considérant que le modèle de soin était inadapté à la fois pour les patients et les soignants. Le modèle qu’il a créé a été mis en lumière par Frédéric Laloux dans son livre Reinventing Organizations, depuis la méthodologie est développée dans de nombreux pays, et ce sont près de 15.000 soignants qui travaillent au sein de l’organisation Buurtzorg aux Pays-Bas !
Avant même de creuser le sujet du rapport au temps de travail, c’est le secteur même de la santé qui était intéressant à découvrir. Après avoir rencontré des personnes qui peuvent travailler où elles le souhaitent quand elles le souhaitent, j’avais envie de comprendre les leviers d’attractivité des métiers pour lesquels il n’y a pas de flexibilité de lieu ou d’horaire.
Comment fonctionne Buurtzorg ?
Buurtzorg est composé de groupes de 6 à 12 infirmières organisées de façon autonome. Il n’y a aucun lien hiérarchique entre les infirmières qui sont simplement liées par la confiance et l’engagement pour une mission commune. Elles peuvent faire appel à un coach pour aider l’organisation, mais celui-ci n’a pas de pouvoir décisionnel.
La particularité de l’organisation Buurtzorg par rapport à d’autres groupes d’infirmières est la forte dimension entrepreneuriale du rôle de chacun, celui-ci n’est pas seulement médical. Chaque infirmière est responsable de gérer son pool de patients dans son quartier, l’approvisionnement en matériel, les plannings… Aucune fonction intermédiaire ne se positionne entre le soignant et le patient et d’après les infirmières rencontrées, c’est un vrai levier de motivation pour elles. Le fait de se sentir responsable d’autres aspects que le seul soin est un des attraits du modèle, plutôt que l’habituelle posture d'exécution de décisions médicales, pas toujours adaptées.
L’innovation du modèle repose sur l’autonomie qui est donnée aux soignants qui sont appelés à faire preuve de bon sens pour juger des soins à apporter à chaque patient. Comme ce sont les personnes qui connaissent le mieux le patient et ses besoins, ce sont à eux de décider des changements nécessaires, même si ce n’était pas ce qui était prévu au départ par les médecins. L’organisation est fondée sur des vrais liens durables entre soignants et patients. Concrètement, les soignants Buurtzorg autonomisent les patients sur les tâches qui le permettent et parviennent à réduire le temps de soin par an par patient, pour pouvoir passer du temps avec d’autres patients qui en ont plus besoin. En moyenne, ils ont réussi à diminuer de plus de 40% le temps de soin par patient par an.
Cette autonomie et ces liens entre les patients se ressentent, avec l’équipe de tournage nous avons pu suivre deux infirmiers, Mats et Jessie pour visiter certains de leurs patients. Ils leur rendent visite depuis des années, aux yeux des patients ils font partie de la famille et ils apportent bien plus que les soins nécessaires, c’est une présence et un lien social, ils prennent réellement le temps d’échanger avec chacun d’entre eux.
Le rapport au temps dans la santé
Une des innovations du modèle Buurtzorg est d’avoir arrêté de contrôler le temps de chaque tâche effectuée par les soignants. Auparavant, les soignants devaient justifier chaque minute de temps consacrée à un patient en l’inscrivant dans une sorte de rapport et en classifiant la tâche. Les fondateurs du modèle Buurtzorg ont décidé de simplement prendre en référence la moyenne des temps consacrés à chaque tâche pour aider chaque soignant.
à établir son planning. Le temps de soin n’est ainsi plus une contrainte pour les soignants car chaque situation est différente et en matière de soin ce n’est certainement pas la quantité qui prime, mais la qualité.
Le temps de travail n’est d’une façon générale pas un bon indicateur pour le métier d’infirmier, le “travailler plus pour gagner plus” ne fonctionne pas car les patients ont quasi tous besoin de soins le matin et le soir, pas tellement en milieu de journée. C’est la raison pour laquelle la moyenne d’heures effectuées par semaine par les infirmières de Buurtzorg est de seulement 22h. Pour certaines il s’agit de leur seul emploi, tandis que d’autres complètent leurs journées avec d’autres activités dans des centres de santé.
C’est justement le rapport au temps de travail malsain, instauré par ceux qui ne jurent que par la productivité et sont souvent éloignés de la relation de proximité entre un soignant et un patient qui a créé de nombreux problèmes au sein des systèmes de santé. Se débarrasser de la contrainte du temps pour revenir à l’essence même du métier est à la fois un gain en bien être pour le patient et le soignant et à la fois efficace d’un point de vue comptable car l’investissement de chacun dans sa mission permet in fine de réduire le temps de soin de chaque patient.
En clair, les soignants passent plus de temps avec chaque patient parce qu’au-delà de les doucher et effectuer les soins ils parlent avec eux et accordent de l’intérêt à leurs gestes. Ce faisant, ils sont capables d’autonomiser les patients sur d’autres tâches et de “vendre” moins d’heures à chacun, permettant d’allouer leur temps plus intelligemment pour ceux qui ont réellement besoin de soin.
Ayant été élevé par une mère médecin, je m’en doutais déjà avant de rendre visite à Buurtzorg, mais l’attractivité d’un métier ne dépend pas seulement de la flexibilité qui va avec. Le fait de pouvoir travailler quand on veut où on veut est un luxe que dont certains ne pourraient plus se passer, mais aussi un non sens pour certains corps de métier qui ne l'envisagent pas et ne le désirent pas.
Jamais je n’ai entendu ma mère parler de quête de sens, le sentiment d’utilité est inhérent à l’activité du médecin. De la même façon, elle n’a jamais voulu faire de télétravail et ne s’est pas sentie lésée quand le reste de la famille a adopté ce fonctionnement, ça n’est même pas un souhait.
En revanche, elle a toujours souhaité plus de reconnaissance pour son engagement, plus de temps avec ses patients, des journées moins longues et un meilleur salaire.
Nous avons de nombreux leviers pour rendre attractifs les métiers dans la santé dont nous avons aujourd’hui cruellement besoin : la reconnaissance, l’autonomie, l’investissement en temps et en ressources…
Le modèle de Buurtzorg inspire déjà des organisations dans le secteur du soin et en dehors depuis des années. J’ai hâte de mettre en lumière ce qui m’a frappé dans le rapport au temps des soignants à travers ce prochain documentaire.
News 🔥
La semaine dernière, j’ai démarré le montage du documentaire ! C’est un énorme morceau de l’aventure qui démarre. Avec Flo, le réalisateur nous passons des journées enfermés devant l’écran pour construire toute la réflexion, sélectionner à partir d’interviews d’une heure les quelques minutes que nous allons conserver, ça n’a peut-être pas l’air réjouissant sur le papier, mais c’est une étape qu’on attendait tous les deux avec impatience, on adore !
Je profite de ces passages à Paris pour animer quelques projections de Why do we even work? en fin de journée. Je serai demain au cinéma du Panthéon avec la team Natixis (complet), il reste des places pour une projection organisée par CoreNet le 13 décembre. Si vous souhaitez y assister, écrivez à Katia.
Ce sera la dernière projection de l’année, mais d’autres sont prévues dès janvier, si vous souhaitez en organiser une ensemble, c’est par ici.
La suite du vlog des tournages sort tout à l’heure sur notre chaîne YouTube. On vous emmène du côté de Londres, Cambridge, Hastings, Paris et Amsterdam pour découvrir les coulisses des derniers shootings.
Un nouvel épisode du podcast Working Less? est disponible ! J’ai demandé à Mathilde le Coz, DRH de Mazars et Présidente du Lab RH si le temps c’est de l’argent. J’ai adoré enregistrer cette discussion, je vous recommande chaudement d’écouter la vision de Mathilde. L’épisode est dispo sur toutes les plateformes de podcast.
Le 7 décembre ce sont les portes ouvertes de la Cafet’Envi, 3 jours de talks et d’ateliers super dynamiques pour les indépendants qui réussissent. Je serai en ligne à l’ouverture avec la géniale Pauline Trequesser et toute la team avant de laisser la place à un sacré line up : Pap & Pille, Marc Simoncini, Eric Larchevêque… Par ici pour s’inscrire !
🎁 A la recherche d’une idée de cadeau de Noël ? La BD Et si on travaillait autrement ? est à glisser sous le sapin de celles et ceux qui se posent des questions sur le sens du travail. Vous la trouverez en ligne ou en librairies.
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022)
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
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Bonne journée ! 🌞
Effectivement le rôle des infirmières est capital au rétablissement des patients. Leurs donner plus de responsabilités et d’autonomie seraient 1 gage de progrès médical. S’inspirer des expériences de l’étranger serait efficace !
Bravo pour l’article.
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