Faut-il se débarrasser des pompistes ?
Billet du futur #102 : Métiers essentiels vs métiers de lien.
Bienvenue dans cette nouvelle édition du billet du futur ! Ça fait maintenant plus de 4 ans que j’explore les meilleures pratiques du Futur du Travail, et cette newsletter est le meilleur moyen de découvrir mes apprentissages en avant-première.
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Bonne lecture,
Sam
Faut-il se débarrasser des pompistes ?
C’est avec cette question un peu provocante que j’ai envie, aujourd’hui, de m’interroger sur ce qui fait qu’un métier est essentiel ou non.
Et l’intitulé de la question m’a rappelé les khôlles de prépa, ces oraux que l’on prépare pendant 20’ avant de les présenter pendant 20’ devant un prof, souvent sous la forme d’une mini dissertation. Alors c’est parti pour le plan en 3 parties !
Oui, il faut se débarrasser des pompistes
C’est le cours de l’histoire, c’est la notion même de progrès. A mesure que l’on développe de nouvelles technologies, on développe aussi de nouveaux usages et en cours de route, on en abandonne certains. Peu à peu, on repousse la frontière de la pénibilité et tout le monde semble se satisfaire de la disparition des métiers les plus désagréables !
Plus personne ne vient le matin changer votre pot de chambres, ou encore vous réveiller en tapotant un bâton à votre fenêtre pour vous dire qu’il est l’heure d’aller bosser. Les knocker-upper étaient les personnes payées pour aller réveiller très tôt le matin les ouvriers dans les villes industrielles qui ne disposaient pas de réveil. Il fallait frapper assez fort pour réveiller le client qui avait payé pour - et pas tout le quartier - mais pas trop pour ne pas non plus briser les carreaux de la fenêtre.
Et le métier de pompiste est un métier pénible ! C’est travailler dans un environnement bruyant et respirer des vapeurs d’essence à longueur de journée. Depuis que les pompistes ont disparu des stations essences, les automobilistes ont appris à faire le plein eux-mêmes et s’en sortent comme des grands ! Si pour certains c’est un “nice-to-have”, ce n’est certainement pas un métier essentiel.
Et au-delà de la pénibilité, je suis surtout gêné par le côté archaïque du métier qui évoque un monde inégalitaire où certains effectuent des tâches qui ne nécessitent aucune qualification, simplement parce que d’autres les jugent dégradantes et ont la flemme. Ce n’est même pas tant un gain de temps car il faut tout de même sortir payer l’essence au comptoir. Dès lors, l’idée d’avoir quelqu’un à son service pour réaliser une tâche si simple me paraît drôlement gênante.
Non il ne faut pas de débarrasser des pompistes
Si pompiste n’est pas un métier essentiel, c’est en revanche un métier de lien ! C’est en ces mots que Laetitia a posé la distinction dans notre dernier podcast Work Buddies.
“Ce sont les métiers dont on pourrait peut-être se passer, mais qui font que la vie est meilleure.”
Pompiste ce n’est pas que mettre de l’essence dans le réservoir, c’est aussi un métier de service qui crée du lien, c’est dire bonjour et engager une conversation avec un automobiliste qui fait une pause, c’est pouvoir conseiller sur l’entretien du véhicule, peut être aider une personne qui regonfle ses pneus… C’est un métier qui offre la possibilité d’une interaction, c’est c’est précieux dans un monde où les attitudes antisociales deviennent la norme ! Ces métiers du lien deviennent d’ailleurs plus importants à mesure que le vieillissement de la population s’accélère et entraîne des phénomènes d’isolement croissants.
Et puis qui suis-je pour juger du côté essentiel d’un métier ? Parmi les pompistes, comme parmi n’importe quel métier, il y a un tas de personnes qui aiment ce qu’elles font, qui trouvent de l’intérêt à l’activité ! Peu importe ce qu’on fait, il y a quelque chose de satisfaisant à avoir le bon geste au bon moment. C’est un concept qui me rappelle énormément la façon dont les japonais travaillent. A Tokyo, je me suis étonné des personnes qui, sur les quais du métro, saluent simplement le conducteur, et indiquent la porte aux passagers, ça me semblait tout à fait évident. Ou bien de cette femme, qui, dans la gare, tenait un panneau avec des directions, droite comme un i pendant des heures. Je me disais qu’un piquet aurait aussi bien fait l’affaire.
Sauf qu’il y a l’amour du beau geste, et à bien regarder ces travailleurs qui au premier coup d'œil font une tâche complètement inutile, on décèle de la fierté dans le fait d’effectuer la tâche, aussi simple soit-elle. On peut accorder de l’importance à n’importe quoi !
Et puis le travail a une valeur sociale, le pompiste ne fait pas que le plein et la conversation, il adopte un rôle dans la société où le travail, parfois même trop identitaire, a une valeur sociale qui dépasse l'exécution de la tâche. Et les qualifications de chacun étant variables, nous avons besoin de métiers peu qualifiés comme les pompistes !
Alors que faire avec les pompistes ?
J’ai tendance à penser que c’est au pompiste lui-même de le décider ! Chacun est libre de définir la frontière de la pénibilité qui lui convient, et on n’a pas tous les mêmes standards en la matière.
Je m’en suis aperçu dernièrement en me moquant des consultants qui passent leur journées sur powerpoint à aligner des slides. J’ai reçu des messages sur LinkedIn de personnes vexées qui me disaient adorer faire des slides sur powerpoint, que c’était un des rares moments de créativité de leur journée. Alors que c’est de loin un des trucs que je déteste le plus faire ! On n’a pas tous la même vision de la pénibilité !
Pour le pompiste, s’il y a une pénibilité reconnue dans les tâches, celle-ci n’est pas nécessairement vécue comme telle. Et de façon plus large, nous n’avons pas tous les mêmes clés de lecture, le même niveau d’engagement, la même définition de l’ambition, nous ne pouvons pas juger un métier que nous n’avons jamais exercé.
Néanmoins, la question du pompiste revient à s’interroger sur les jobs dont on a envie d’encourager l’existence et ceux qu’on a envie de voir disparaître. Loin des pompistes et plutôt côté cols blancs, on a quand même inventé toute une ribambelle de bullshit jobs à force d’avoir complexifié l’économie, et s’interroger sur leur pertinence, sur la valeur qu’ils créent et l’impact qu’ils ont ne peut pas nous faire de mal.
Et puis, il faut reconnaître que pour qu’une partie de la population consomme des biens et services de luxe, une autre partie de la population travaille dans des métiers non essentiels. Ce sont souvent des métiers peu qualifiés, mal payés, et socialement dévalorisés. Et ça me paraît plus que jamais important de se demander dans quel monde on a envie de vivre, et de comprendre qu’avec notre consommation on façonne les métiers de demain. On a bien compris que la consommation était politique, et qu’on encourage l’existence (ou non) de produits et services, mais ça engendre aussi des créations ou suppressions de postes ! A nous de faire les bons choix !
Et même si certains travailleurs prennent du plaisir dans la réalisation d’un geste simple parce qu’il est bien fait, cet amour du beau geste ne doit pas nous faire oublier sa finalité. C’est une discussion que j’ai eue avec Hiroshi Ono, professeur à l’université de Tokyo. S’il partage mon admiration pour le beau geste et l’attention portée à l’instant présent dans le travail des japonais, il pointe avec regret que ces mêmes atouts sont autant de défauts qui leur font perdre de vue le sens de leurs actions. Et que de nombreux travailleurs sont bien incapables d’expliquer la finalité de leur action, ce qui conduit parfois à des situations absurdes.
Dans le fond, je reste convaincu qu’il vaut mieux un emploi peu qualifié et socialement dévalué que pas d’emploi du tout. Aucun job n’est totalement inutile quand il est fait avec bon sens, et surtout, on entretient cette idée qu’on a tous un rôle à jouer dans la société, et qu’on peut s’éclater dans n’importe quel job !
Ces réflexions sur les métiers essentiels et les métiers de lien sont au cœur de l’exposition photo Working Class. Et pour chaque cliché, on a pris le temps avec Guillaume, le photographe de commenter l’envers du décors, de raconter la scène, de traduire en texte ce qu’on a envie de partager lors des visites guidées.
Ça se passe en ligne sur The Daily Swile !
News 🔥
Après un week-end à la montagne et quelques jours à Paris, je suis passé à Mont-de-Marsan pour une projection de Why do we even work? organisée par la CCI des Landes ! Et c’est toujours quand on rassemble des professionnels de secteurs, métiers et entreprises très différents que les débats sont les plus intéressants ! Deux ans après la sortie du documentaire et des dizaines de débats animés un peu partout, je m’éclate toujours à échanger sur les concepts abordés et découvrir la façon dont vous les percevez !
Si vous souhaitez organiser une projection ensemble, c’est par ici.
Je suis à Lyon pour une quinzaine de jours, j’irai peut-être à la montagne, mais pas plus loin, aucun déplacement de prévu avant la WIP Expedition Night le 5 mars, et ça, je crois que ça n’est pas arrivé depuis août dernier, je suis content !
D’ailleurs la soirée est sold out depuis un moment, mais on prend du monde sur la liste d’attente, et on libère des places au compte-goutte en fonction des invitations non pourvues, déjà une trentaine de libérées ! Si vous n’êtes pas encore inscrit, c’est le moment, tous les détails et liste d’attente sont par ici.
Le média Les Déviations m’a interrogé sur mon parcours et ma vision du travail. Ça a donné cette discussion, à découvrir sur YouTube.
L’expo photo Working Class est actuellement à Saint-Etienne, allez-y si vous êtes dans le coin, c’est à la CCI et c’est totalement gratuit !
Elle passera ensuite à Lyon tout le mois de mars à l’Ellipse, au 29 place Bellecour. On organise un vernissage le 14 mars c’est gratuit, on y sera avec Guillaume le photographe pour des visites guidées, vous venez ? Soirée gratuite mais inscription nécessaire.
J’occupe mes journée à la préparation de la WIP Expedition Night pour que tout soit aux petits oignons, et la fin du montage de la docusérie, c’est tellement enthousiasmant de voir les dernières briques se construire, je commence à préparer sa sortie avec notamment des projections publiques à Paris et Lyon, je vous en reparle à la prochains édition !
D’ici-là, prenez soin de vous, et surtout, éclatez-vous !
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Visionnez mon troisième documentaire, Time to Work (2023)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022) et sa grande sœur "Mais pourquoi j’irais travailler ?” (2023)
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
Bonne journée ! 🌞
Amener de l’humanité grâce à ces métiers jugés » non essentiels « favorisera 1 société fraternelle !