La culture du travail au Japon
Billet du futur #81 : karoshi, ikigai, nomikai, la culture du travail au Japon
Bonjour à toutes et à tous,
Je rentre tout juste d’un des voyages les plus marquants de ma vie, ces deux dernières semaines au Japon me semblent presque irréelles tant le programme a été chargé et captivant.
La relation des japonais au travail n’est pas vraiment un modèle, au contraire. C’est pour comprendre cette culture si différente de celle à laquelle nous sommes habitués que je m’y suis rendu. J’ai tenté dans cette newsletter de partager mes impressions à chaud.
Bonne lecture,
Sam
Les longues journées de travail
Il suffit de prendre le métro à Tokyo pour tomber sur les salarymen qui dorment en costume dans les transports tant ils sont épuisés. Parfois c’est dans la rue qu’on les trouve étendus, certains dorment simplement, tandis que d’autres décuvent également d’une soirée entre collègues arrosée. C’est le nomikai (飲み会), ce concept quasiment obligatoire qui consiste à aller boire des coups avec ses collègues après une journée de travail. Impossible de rentrer chez soi avant que son patron ne soit lui-même parti, et tant pis s’il n’aime pas sa famille ou qu’il n’en n’a pas, les soirées durent souvent jusqu’au dernier train de la soirée.
Les salarymen sont le triste cliché au sein d’une société qui travaille trop.
Plus de 20% des entreprises en 2016 déclaraient qu’une partie de leurs employés accomplissaient plus de 80 heures supplémentaires par mois.
Les japonais ont le droit à 18 jours de congés par an, en moyenne ils n’en prennent que 9.
Ces chiffres hallucinants sur le temps de travail prennent une tournure morbide, puisque l’épuisement au travail se traduit parfois par la mort. Le Japon est le seul pays au monde à avoir un terme pour décrire la mort par excès de travail, le karoshi. Concrètement, le karoshi se manifeste principalement par des arrêts cardiaques, et quelques suicides.
Le Japon n’est pas le seul pays du monde où l’on peut mourir d’un excès de travail, mais c’est le seul qui en définit les termes, et le gouvernement prend le sujet très au sérieux en tentant de mettre sur liste noire les entreprises qui ont trop de cas de karoshi.
La mort par excès de travail n’est pas réservée aux personnes qui subissent un travail qu’elles n’aiment pas. Le terme de yarigai sakushu décrit l’exploitation d’une personne qui aime son travail.
D’où vient le fait de travailler longtemps ?
On pourrait imaginer que le fait de travailler de longues journées est dû à une incitation financière, une sorte de “travailler plus pour gagner plus à la sauce niponne”, mais l’argent n’est pas la première motivation, c’est plutôt la façon dont est pensé le système du travail qui est à l’origine de ces longues journées.
Le sociologue Hiroshi Ono que j’ai interrogé la semaine passée sur la question a commencé l’interview avec cette phrase :
“Japanese people are very efficient at doing inefficient work.”
Et il suffit d’arriver à l’aéroport pour se rendre compte qu’il y a 20 membres de personnel pour un touriste, qu’à chaque carrefour, un travailleur muni d’un bâton rouge fait la circulation d’un passage piéton (alors même que les feux fonctionnent très bien), ou semble assurer la sécurité d’un parking vide. En tant que visiteur, c’est très agréable, tout fonctionne, jamais on ne se trouve sans une solution à un problème dans la minute.
Sur ce sujet, Hiroshi n’arrivait tout bonnement pas à concevoir comment dans un pays comme la France, 17% des trains pouvaient être en retard, ça lui semblait inconcevable. Au Japon, seulement 0.3% des trains sont en retard, généralement de quelques secondes seulement, et dans ce cas l’ensemble du personnel s’excuse platement.
Le sociologue nous expliquait que les Japonais privilégient le travail aux loisirs, la vie personnelle ne vient qu’après la vie professionnelle, s’il reste du temps. C’est aussi la raison pour laquelle les relations sociales sont autant négligées. Plus de 40% des - de 35 ans n'ont jamais eu de rapport sexuel et le chiffre augmente années après années.
Au-delà de la sexualité, le sexisme dans le monde du travail est un vrai problème au Japon. En 2018, le Forum Économique Mondial plaçait le Japon à la 118e place du classement des pays les plus égalitaires (la France était 12e). Il est encore naturel pour un homme de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille, et pour la femme de s’occuper de la maison, du dîner et des enfants. J’ai été assez embarrassé en discutant avec plusieurs japonaises et japonais de découvrir que cette séparation des rôles n’était pas vécue comme un problème pour eux. D’après Hiroshi les mentalitées évoluent, mais d’après ce que j’ai pu observer, y compris auprès de la plus jeune génération, il y a encore du travail…
Hiroshi décrit le système japonais comme collectiviste, à l’opposé de ce que nous connaissons en Europe avec des systèmes individualistes. Ainsi, même si un salarié a terminé son travail à 17h, il ne peut pas partir car les autres ne partent pas et il ressent de la pression sociale. Ce faisant, les Japonais ont bâti une culture du travail basée plus sur l’input plutôt que l’output. C'est-à-dire que ce ne sont pas les résultats qui comptent mais la présence et la représentation. Les travailleurs jouent un rôle auprès de de leurs collègues et leurs patrons, l’important n’est pas de faire mais d’être vu.
Hiroshi explique aussi les longues journées de travail par un cycle tristement vrai liant bonheur et productivité. Un travailleur malheureux ne sera pas productif, et n’étant pas productif il va faire de longues journées, et en faisant de longues journées, il devient malheureux, et ainsi de suite…
Des motifs d’espoir ?
Tout n’est pas à jeter dans la culture du travail au Japon, lentement les mentalités semblent évoluer et les longues journées de travail font moins rêver, notamment auprès de la plus jeune population.
Néanmoins, il va falloir du temps pour changer le système et qu’une majorité de personnes acceptent une autre vision du succès et de l’ambition.
Mais le Japon ce n’est pas que le pays du Karoshi, c’est aussi le pays de l’Ikigai, ce concept qui nous vient de l’île d’Okinawa, réputée également pour la longévité de ses habitants. L’ikigai c’est l’épanouissement au travail, l’idée étant de trouver un équilibre parfait entre ce que l’on aime, ce pour quoi les gens sont prêts à nous rémunérer, ce dont ils ont besoin, et ce que l’on sait faire.
News 🔥
Pour ceux qui ont suivi le voyage sur Insta, vous vous en doutez, j’ai adoré cette aventure ! Avant de retrouver la team à Tokyo pour nos tournages, j’avais pris la direction d’Hokkaido, l’île au nord de l’archipel pour une semaine de ski dans les paysages les plus féeriques qu’il m’ait été donné de voir. Chaque nuit, 50cm de neige fraîche tombait, rendant les runs entre les arbres du lendemain exceptionnels dans une poudreuse légère et profonde. Pour les curieux, j’en ai fait une petite vidéo ici.
Au-delà du ski, j’ai pris une sacrée claque avec la culture japonaise, quelle gentillesse et quel respect dans chaque interaction, ça donne envie d’en faire autant en France ! Et quelle finesse dans l’art culinaire ! Bref c’était un séjour chargé en rencontres, en dégustations, en paysages. Les journées de travail étaient intenses mais je crois que toute la team l’a aussi vécu comme des vacances. Et si c’était ça le travail de demain ?
De retour cette semaine, je file tout de suite du côté de Nice pour le tout dernier tournage du documentaire, puis direction Paris pour reprendre le montage, avec une session en direct + cowork avec certains d’entre-vous ce mercredi. Et la semaine prochaine je retrouve tous les partenaires de Work in Progress pour une journée de séminaire, j’ai hâte ! Je partagerai nos réflexions.
Un nouvel épisode de podcast est dispo, j’ai interrogé Tristan Goguillot, Directeur des vacances (rien que ça !) chez Lucca. Il m’a expliqué pourquoi il trouvait que les vacances illimitées étaient une fausse bonne idée.
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