Le travail, l’abondance et le temps
Billet du futur #74 : James Suzman, récit d’une interview attendue et inattendue
Bonjour à toutes et à tous, dans ce billet je vous partage mes impressions sur l'une des interviews les plus passionnantes des derniers jours, celle de James Suzman à Cambridge.
Et si vous préférez commencer la semaine en image, le premier vlog du tournage de WIP#3 vient de sortir ! Par ici pour un résumé de nos aventures en 2’.
Bonne lecture,
Sam
Une interview attendue et inattendue
J’ai lu une première fois le livre de James quelques mois après sa sortie, en tombant par hasard sur cette couverture dont le gros titre “Travailler” avait attiré mon regard. La première lecture me fascine directement, et je prends en notes plein de citations.
Quand cette nouvelle idée de documentaire me vient en avril dernier, je repense immédiatement à James pour incarner la troisième partie, la redéfinition de ce qu’est le travail, le dézoom, la prise de recul et le décalage nécessaire dont nous avons besoin pour porter le sujet. Cet été je me suis replongé dans la lecture du livre en écrivant au fil de l’eau toutes les questions que j’ai envie de lui poser, j’en avais des tonnes, chaque mot était pesé. J’avais envie de montrer à James que chacun de ses paragraphes m’avait donné à réfléchir et l’amener exactement sur les terrains qui m’intéressaient pour éviter les redites par rapport aux centaines d’interviews déjà disponibles.
Ceci étant dit, vous imaginez mon impatience des derniers mois, dans l’attente de ce rendez-vous fixé à l’Université de Cambridge mi octobre.
L’université est divisée en plusieurs College qui m’avaient tous refusé d’accueillir cette interview car elle tombait en pleine rentrée, au moment où l’ensemble des espaces sont occupés. Robinson College dont James est un Fellow avait accepté de nous accueillir, mais seulement dans une des salles de réunion.
En arrivant sur place avec tout notre matériel et l’équipe de tournage, on est dépités, la salle est vraiment horrible, on dirait une vieille salle de conférence d’hôtel, pas de quoi faire de belles images. Pas question d’en rester là, on sort nos plus beaux sourires et on tente de négocier de pouvoir tourner au milieu des belles pelouses du campus… j’ai du mal à y croire, mais ça a été accepté !
A partir de là, tout se passe à merveille, le cadre est magnifique, James s’installe et nous nous lançons dans l’interview. C’est de loin l’une des plus brillantes que j’ai eu l’occasion de mener, sur le fond comme sur la forme tout est impeccable, certainement le fruit d’heures entières d’interviews réalisées à la sortie de son livre, il est parfaitement rodé à l’exercice.
Malheureusement, au bout de 45 minutes, notre ingé son nous annonce un peu fébrile qu’on vient de perdre tout le son de l’interview depuis le départ à cause d’un problème de pile… On est dépités… James avait mis une telle énergie à convoquer différents sujets avec un enthousiasme communicatif que j’avais du mal à lui demander de recommencer à zéro. Heureusement, il comprend, il a appris en vivant 5 années parmi différentes tribus à prendre le recul nécessaire sur ce qui dépend de lui et ce qui ne dépend pas de lui. Il nous dit simplement “c’est la vie” et on est repartis pour une seconde prise.
La redéfinition de notre rapport au travail
En attendant la sortie du documentaire, voici un avant-goût des concepts abordés que je retiens de son interview.
La redéfinition du travail :
“Ce qui se rapproche le plus d’une définition universelle du travail, une définition à laquelle pourrait adhérer les chasseurs-cueilleurs, les traders financiers en costume-cravate, les paysans cultivant leurs parcelles vivrières et tous les autres, c’est que le travail implique de dépenser intentionnellement de l’énergie ou des efforts sur une tâche afin de parvenir à un but ou à une fin.”
Cette définition à travers la dépense d’énergie dans un but précis est intéressante car elle a le mérite de reconnaître comme du travail les activités rémunérées et celles qui ne le sont pas. Au-delà du travail gratuit, James nous amène aussi à réfléchir à tout ce que nous faisons durant notre temps libre, qui, dans un autre contexte, est considéré comme étant du travail : lire, cuisiner, réparer des objets, ranger, parler avec d’autres personnes…
Il s’amuse à remarquer que le champ lexical que nous utilisons pour parler de nos loisirs est intimement lié au travail : nous cultivons nos relations, nous entraînons nos corps…
L’impact majeur de l’agriculture et de l’élevage dans le changement de notre rapport au temps
Lorsque l’Homme vivait de la chasse et de la cueillette, il vivait dans l’instant présent. S’il avait faim, il cherchait à manger, s’il avait soif, il cherchait à boire, mais il ne constituait pas de réserve et n'amassait pas de ressources lui procurant de l’énergie.
Dès que l’Homme a commencé à maîtriser l’agriculture et l’élevage, il a commencé à vivre dans le futur et à s’engager sur des temps plus longs pour obtenir de l’énergie à partir des ressources qu’il amassait et contrôlait.
Cette captation de l’énergie de notre environnement a chamboulé notre façon de vivre, elle a entraîné de nombreux progrès, elle a lancé le rassemblement des hommes dans les villes et a modifié notre perspective sur le temps, nous condamnant à planifier, à nous projeter dans les semaines et les mois à venir et d’une certaine façon à nous plonger dans cette fuite en avant qui accompagne l’abondance.
Le travail et l’abondance
Si tout ce que nous faisons pourrait être considéré comme du travail, c’est parce que l’Homme, comme n’importe quelle espèce a horreur du vide qu’elle cherche à combler. Nous avons du mal à rester allongés et à ne rien faire. James donne l’exemple du tisserin masqué, un oiseau vivant dans les savanes boisées d’Afrique. Cet oiseau est capable de fabriquer en quelques jours des dizaines de nids à partir de brindilles et de les détruire sans même avoir pris le temps de les utiliser. Ce comportement étonnant de dépense d’énergie sans but précis a longtemps intrigué, certains pensant qu’il s’agissait d’un rite pour attirer les femelles dans l’un des nids. Avec des études plus poussées, les scientifiques se sont ensuite mis d’accord sur le fait qu’il n’en était rien et que c’était simplement l’abondance de ressources qui rendait le tisserin masqué si productif dans la création et la destruction des nids.
Tout parallèle avec notre propre civilisation n’est pas fortuite, d’après James nous serions tels des tisserins masqués, incapables de se satisfaire des ressources nécessaires à notre portée, nous serions mus par une force presque incontrôlable nous poussant à utiliser l’ensemble des ressources à notre disposition pour produire puis détruire, jusqu’à épuisement.
Mise en perspective de notre rapport au temps de travail
En moyenne, les chasseurs-cueilleurs passent environ 17h à travailler (chercher de la nourriture, la préparer, réparer quelques éléments, se déplacer…) soit environ trois fois moins de temps que la moyenne des personnes qui vont lire ce billet. Et contrairement à l’image que nous en avons, ils ne vivent pas une existence misérable, ils ne luttent pas pour survivre au quotidien.
D’après James, au regard du temps de loisir que nous avons, nous avons certainement plus à apprendre des chasseurs-cueilleurs que l’inverse.
En bref, James nous appelle à mettre en perspective ce que nous appelons travail, à en donner une définition plus large et surtout à repenser ce que nous qualifions de succès et d’ambition pour nous orienter vers un rapport plus soutenables envers les ressources qui nous entourent.
Son regard d’anthropologue est fascinant de justesse dans l’analyse qu’il apporte sur notre civilisation à partir de références issues de ses années passées à étudier des tribus dont le mode de vie actuel ressemble à celui des chasseurs-cueilleurs d’il y a quelques dizaines de milliers d’années.
Si ce billet vous a donné envie de lire le livre, voici la référence. Et sinon vous retrouverez l’interview à la sortie du documentaire début 2023.
News 🔥
Only good news! Les tournages se sont enchaînés pendant une semaine intense, d’abord du côté de l’Italie avec un stop à Venise puis une interview de Fabio pour Patagonia dans les montagnes du Sud-Tyrol. Puis nous sommes allés aux UK à Londres, Hastings et Cambridge.
Les images des coulisses de ces tournages sont déjà postées sur LinkedIn et Instagram !
De retour de cette folle semaine, je suis intervenu sur plusieurs projections, dont un très chouette moment au World Forum for a Responsible Economy au Théâtre du Nord de Lille aux côtés de Jasmine Manet et Claire Bonenfant.
Wouhh déjà le premier vlog des aventures de WIP #3 ! 😍 On a encapsulé quelques moments de voyages à Lyon, Stockholm et Brunico en 2 minutes, bienvenue dans les coulisses ! Bon visionnage 👀
Cette année, des milliers d’étudiants ont fait leur rentrée avec un visionnage des documentaires Work in Progress & Ruptures. Nos licences éduc ont déjà été déployées dans plus d’une vingtaine d’écoles déjà. Elles permettent aux enseignants d’utiliser les documentaires comme des outils pédagogiques, de s’appuyer sur des extraits, des questions pour guider les réflexions et des contenus pour aller plus loin… Je suis super fier de ce format de diffusion ! Si vous connaissez des directeurs d’établissements, des professeurs, des directions de la pédagogie, j’adorerais leur présenter nos documentaires. Ecrivez-moi ! 🤗
Depuis le mois de septembre, Julia m’aide sur plein de sujets autour de WIP, des projets en cours, des interventions en entreprises, dans les écoles et plusieurs nouveaux gros projets qui vont sortir de terre dans les prochains mois ! C’est une toute nouvelle expérience de travailler avec quelqu’un au quotidien pour moi, ça permet de donner une structure plus solide aux différents projets, de challenger les idées et de transmettre un bout de ce que je sais faire. J’adore ! Ma seule frustration au départ a été de ne pas pouvoir passer suffisamment de temps en interactions ensemble car j’étais trop pris par les projets en cours, mais je crois qu’on a trouvé notre rythme et maintenant ça cartonne ! On fera un retour d’expérience ensemble dans quelques mois :-)
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