L’IA va-t-elle nous débarrasser des bullshit jobs?
Billet du futur #94 : La vision idéale de l’IA, plein d’événements et dernier tournage à Marseille !
Bienvenue dans cette nouvelle édition du billet du futur ! Ça fait maintenant plus de 4 ans que j’explore les meilleures pratiques du Futur du Travail, et cette newsletter est le meilleur moyen de découvrir mes apprentissages en avant-première.
Si ce n’est pas déjà fait vous pouvez aussi 👇
Regarder les documentaires Work in Progress 🍿
Organiser une projection avec vos équipes 📽️
Lire la BD “Et si on travaillait autrement ?” 📖
Bonne lecture,
Sam
Dans le précédent billet, je vous ai partagé ce que je retenais des premières interviews du prochain documentaire. Deux semaines plus tard, j’ai commencé à traiter toute cette matière en démarrant le montage, et forcément ça m’a fait cogiter.
Aujourd’hui, c’est un billet d’opinion que j’avais envie de vous partager, une vision que j’aimerais voir advenir et pour ça, il faut commencer par en débattre.
L’IA est-elle une opportunité pour se débarrasser des bullshit jobs?
C’est avec ces mots que j’ai posé la question à l’ensemble des speakers. Et si elle a fait glousser l’un d’entre eux dans l’enceinte guindée d’Oxford, peu habitué aux vilains mots, elle a fait réfléchir la plupart des autres qui ne semblaient pas encore s’être interrogés sur le sujet.
Le terme de bullshit job fait référence à l’article éponyme écrit par l’anthropologue Britannique David Graeber qui le définit comme : “Un boulot à la con (…) si inutile, absurde, voire néfaste, que même le salarié ne peut en justifier l’existence, bien que le contrat avec son employeur l’oblige à prétendre qu’il existe une utilité à son travail. Ceux qui occupent ces boulots à la con sont souvent entourés d’honneur et de prestige ; ils sont respectés, bien rémunérés (…). Pourtant, ils sont secrètement conscients de n’avoir rien accompli. (…) Ils savent que tout est construit sur un mensonge.”
Bon, je pense qu’on est tous capables d’avoir en tête des exemples de bullshit jobs sans que j’ai besoin d’en dresser une liste.
Au cours des décennies précédentes, ce sont surtout les cols bleus dont les emplois ont été menacés par le progrès technique et les innovations technologiques. Les usines se sont modernisées, des machines ont pris le relais de certaines tâches, elles ont transformé le quotidien de certains et remplacé le travail d’autres. 5,7 millions de personnes travaillaient dans l’industrie en France en 1974, elles sont moins de 3 millions aujourd’hui.
Il y a quelques années, les économistes et études des cabinets de consulting présentaient l’intelligence artificielle comme un risque, majoritairement pour les travailleurs les moins qualifiés, les moins rémunérés, y compris les cols bleus. Mais tout a changé avec l’arrivée des LLM, les Large Language Models, ces modèles d'apprentissage automatique basés sur des architectures de réseaux de neurones profonds appelées Transformeur et entraînés sur de vastes ensembles de données textuelles. (ChatGPT par exemple)
La majorité des emplois menacés de remplacement concernent les cols blancs dont une partie des tâches consiste à générer des contenus : rapport d’étude à rallonge, powerpoint, emails de reporting remplis de jargon… Or c’est précisément pour ce type de tâches que les IA dont on entend parler à longueur de journée sont efficaces !
Le consultant qui doit pondre un rapport de +100 pages va enfin pouvoir souffler, ChatGPT est excellent pour broder autour d’une idée courte et clairement formulée. Et comme il y a de bonnes chances que ce rapport ne soit jamais lu qu’en diagonale, le fait qu’il n’apporte pas une grande valeur n’embêtera personne.
Et bien au contraire, les métiers de la construction, de la fabrication et du transport requièrent de la dextérité manuelle, de la créativité et de la résolution de problèmes, ce que l'IA peut difficilement reproduire.
Repenser la valeur de son travail
L’arrivée de l’intelligence artificielle dans un nombre croissant de métiers oblige chacun à s’interroger sur la valeur de son travail.
Et pour savoir si un métier est plus ou moins exposé au risque de remplacement ou de transformation, il faut décomposer le quotidien en tâches et comprendre celles qui sont routinières, et donc menacées à court terme, et celles qui ne le sont pas.
Parmi les métiers les moins exposés à l'IA, on retrouve ceux dont le sens est évident, à l’opposé des bullshit jobs : les métiers du care, l’artisanat, la restauration, les boutiques… Tous les métiers dont une très faible partie des tâches est routinière.
Et puis il y a toute une catégorie de métiers ou ce n’est pas parfaitement clair, une partie des tâches peut être déléguée à une IA mais pas la totalité, et c’est là où se trouve l’opportunité de s’interroger sur la valeur de son travail. C’est l’occasion de se questionner sur ce qu’on est capable d’apporter à l’entreprise au-delà de la fiche de poste pour laquelle on a signé. Et ce raisonnement vaut aussi côté entreprises : comment valoriser les compétences de mes talents en repensant leur rôle en dehors du cadre des fiches de postes ?
De nouveaux projets vont émerger, on va pouvoir prendre le temps de créer de nouveaux espaces de conversation qui mèneront à de nouvelles idées, des innovations. Mais pour ça, il faut accepter l’idée que chacun n’est pas staffé à 100% toute l’année, qu’une partie du travail des salariés est aussi de prendre le temps de la réflexion sur l’organisation, de prendre le temps de nouer des connexions avec les autres membres. Or la vision du salariat dans certaines entreprises, héritée de l’époque industrielle, ne favorise pas le développement de cette idée.
Que faire de ceux dont les bullshit jobs vont disparaître ?
On peut imaginer qu’une partie d’entre eux resteront attachés à leur organisation et auront envie de poursuivre leur aventure au sein de celle-ci en trouvant un réel travail ayant du sens.
La disparition de bullshit jobs apparaît aussi comme une opportunité pour réorienter certaines personnes laissées sur le carreau vers les métiers les plus utiles qui sont aussi ceux qui sont le mieux protégés des risques d’automatisation et de remplacement. Et ça tombe plutôt bien car pour l’instant ce sont majoritairement les métiers dans lesquels nous avons une pénurie de main d'œuvre et qui sont injustement dévalués. Est-ce que leur condition de “protégé de remplacement par une IA” les rendra plus attractifs ? J’ai du mal à l’imaginer, l’histoire ne nous offre pas d’exemple de métier dévalué, devenu soudainement valorisé… Mais on peut rêver !
Et puis, aujourd’hui ce qu’on considère comme du travail se cantonne aux activités rémunérées. Et pour reprendre la définition proposée par l’anthropologue James Suzman “Le travail est une dépense d’énergie dans un but précis”, on pourrait tout à fait y inclure tout le travail gratuit. Le bénévolat, ou encore ce qui est considéré comme du bon sens : l’éducation d’enfants, le fait de contribuer à sa communauté, l’aide à des personnes âgées. On pourrait imaginer qu’une partie des personnes ayant perdu leur emploi avec l’automatisation se consacrent à ces activités, nouvellement intégrées dans une définition du travail en contribuant à la communauté.
Et la réalité ?
Si j’aimerais beaucoup qu’on soit capable de se réorienter si facilement d’un job à un autre, de mieux considérer les métiers les plus essentiels et de prendre en compte le travail gratuit, je ne me fais pas d’illusions à court terme. On a peut-être là une vision du travail pour dans quelques décennies, mais j’ai du mal à la voir prendre forme dans les toutes prochaines années.
Après cette série d’entretiens, je rejoins finalement plus la vision des speakers rencontrés du côté du Royaume-Uni que les américains : optimiste à long terme mais dubitatif de la capacité des institutions et des entreprises à être globalement à la hauteur des enjeux de court terme.
Michael A Osborne et Carl Frey sont revenus sur leur papier de 2013 dans un brillant article pour The Economist dont je recommande vivement la lecture.
Et quant à moi, j’ai rassemblé plein de bonnes pratiques très concrètes et facilement actionnables pour préparer nos entreprises à l’arrivée des IA de la meilleure des manières. Et en attendant de les partager dans les documentaires, ce sera l’objet du prochain billet dans deux semaines !
News 🔥
A l’heure où cet email arrive dans votre boite email, je suis sur un bateau au large de Marseille sous un ciel tout gris pour le dernier tournage de ce nouveau documentaire. Et quel rapport avec l’IA allez-vous me dire ? Surprise ! Dans chaque documentaire, j’aime l’idée d’ajouter un speaker qui, à première vue, n'a rien à voir avec le sujet, mais qui permet de considérer la réflexion avec un autre angle et où on ne comprend son intérêt qu’à la fin. C’était le Peter et ses skis en bois dans WIP2, Mouratoglou dans WIP3 et pour celui-ci c’est une belle histoire qui est en train de s’écrire, tous les détails au prochain épisode !
La semaine dernière était dense, avec un tournage à Paris chez Owkin qui utilise l’IA pour révolutionner la médecine, puis deux projections prévues de longues dates !
D’abord à Paris avec LVMH où nous nous sommes interrogés sur les différents leviers de motivation à partir de Why do we even work? puis le lendemain au beau milieu de la Bretagne, avec l’UNICEM, la fédération des producteurs de matériaux minéraux ! Que de riches discussions !
Cette semaine je serai à Genève avec la team Freelance.com pour une projection, s’il y a des suisses par ici, il reste les toutes dernières places par ici.
L’agenda continue à se remplir avec plein de projections dans les prochaines semaines, c’est par ici pour en organiser une ensemble.
Bons plans :
Simundia a publié un rapport sur les bonnes pratiques pour retenir les talents féminins dans la tech.
Les 20 et 21 novembre à Paris aura lieu le festival Free-up, premier festival des indépendants. J’aurai beaucoup aimé y être mais j’interviens déjà dans le sud de la France ces deux jours-là. Si vous voulez y aller, ils m’ont filé un code promo (SAM_10).
Et ceux qui sont du côté de Toulouse le mardi 21 novembre, une projection est organisée à l’Université Paul Sabatier, inscription gratuite ici.
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Visionnez mon troisième documentaire, Time to Work (2023)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022), la suite arrive en novembre !
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
Bonne journée ! 🌞
Passionnant ! Dur d'imaginer comment une technologie si révolutionnaire va s'intégrer concrètement dans notre monde du travail.
En tout cas, si ça permet de faire disparaître les bullshit jobs, c'est une bonne nouvelle pour tout le monde !
Comme dit Naval Ravikant : "If the work doesn’t require creativity, delegate it, automate it, or leave it."