Mais que s’est-il passé avec le télétravail ?
Billet du futur #109 : Quand l’ego gagne contre la data
Bienvenue dans cette nouvelle édition du billet du futur ! Ça fait maintenant 5 ans que j’explore les meilleures pratiques du Futur du Travail, et cette newsletter est le meilleur moyen de découvrir mes apprentissages en avant-première.
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Bonne lecture,
Sam
On avait tout pour réussir
Mais que s’est-il passé avec le télétravail ?
Les politiques de retour forcé au bureau ne sont pas motivées par des enjeux de productivité, il s’agit de problèmes de confiance et d’égo mal placé.
Quand toutes les entreprises se lançaient, pandémie oblige, dans le tout télétravail pendant quelques mois au printemps 2020, je me suis dit : ah enfin, les expérimentations des pionniers qui défrichent ces nouvelles façons de travailler depuis quelques années vont enfin servir à l’échelle.
Parce que certaines sociétés n’avaient pas attendu pour tester le full-remote, ou le remote-first, ces organisations du travail où la distance prime sur la présence, parfois jusqu’à ne pas avoir de bureau. Des Buffer, Automattic, Gitlab, Basecamp et autres pionniers avaient non seulement testé différents modèles, et partageaient les recettes de leurs succès dans d'innombrables livres, documentaires, articles, et podcasts, déjà bien avant la pandémie.
Parce que le télétravail, ce n’est pas simplement ne plus venir au bureau, quand c’est bien fait c’est aussi repenser l’organisation pour créer des temps forts qui rassemblent réellement, à distance et en physique ponctuellement. C’est mettre en place une culture forte de l’écrit, favoriser les échanges en asynchrones, et avoir des temps de travail synchronisés bien identifiés, et le plus possible valoriser l’avancée des objectifs des projets plutôt que le temps passé dessus.
C’est tout un ensemble de bonnes pratiques d’organisation et de management qui font leur preuve depuis des années pour quelques pionniers et dont une minorité d’entreprises seulement se sont malheureusement inspirées lorsqu’il a fallu en peu de temps passer au télétravail. La bonne nouvelle, c’est que cette marche forcé au télétravail a fonctionné, en l’espace de quelques semaines, des services entiers dont on pensait que le travail était cantonné à un lieu précis, se sont digitalisés, se sont outillés et ont repensé les processus interne pour permettre à chacun de travailler chez soi.
Sauf que bien souvent, les entreprises se sont hâtées à mettre tout le monde en télétravail mais n’ont pas réellement repensé l’organisation du travail, elles ont calqué leur modèle d’organisation et de management en présentiel à distance. Et ça, sans surprise, ça ne fonctionne pas !
Les vieux démons
A défaut de badger, il fallait désormais mesurer le temps de connexion. Je me suis retrouvé dans des situations ubuesques où en pleine partie de ping pong un jeudi à 18h, mon partenaire de jeu devait aller bouger sa souris tous les 3-4 points pour montrer qu’il était encore actif, au moins jusqu’à 19h, “pour faire bien”.
Et depuis quelques mois, les entreprises mettent tout à tour en place des politiques de retour au bureau. Ce n’est pas un mal français, aux Etats-Unis, la plupart des big tech qui avaient été les premières à fanfaronner sur les bienfaits du télétravail et leur capacité rapide d’adaptation sont massivement revenu en arrière. (Graphique Statista). Mark Zuckerberg a déclaré que les ingénieurs "font plus de choses" au bureau, et le DRH de Google a déclaré aux employés que l'assiduité au bureau serait prise en compte dans les évaluations de performance. Même la direction de Zoom a demandé aux employés de revenir au bureau deux jours par semaine. Parfois c’est fait de façon plus insidieuse encore, vous avez certainement dû voir passer le cas de Dell qui a tout bonnement annoncé que les employés qui ne reviendraient pas physiquement au bureau ne pourraient pas être éligible à des promotions.
Alors que s’est il réellement passé ? La productivité et la créativité ont-elles réellement baissé avec le télétravail ? Et quels effets pouvons nous attendre de ce retour au bureau ?
La faute à qui ?
Une étude des chercheurs Yuye Ding et Mark Ma montre que les entreprises qui performent le moins bien en bourse ont plus tendance que les autres à exiger un retour au bureau, et ce, pas parce que le télétravail nuit aux résultats, mais parce qu'il est un bouc émissaire commode. L'étude n'a constaté aucune amélioration des performances financières depuis la mise en place de la politique de retour au bureau.
Et surtout ! L’étude a mis en évidence que la décision de faire revenir les employés au bureau n’était pas motivée par des données solides sur des supposées baisses de productivité ou de créativité, mais simplement motivée par l’égo et l’instinct des managers qui se sentaient dépassés ! Et depuis, ce retour forcé au bureau diminue évidemment l’engagement des collaborateurs. Chez Amazon, +5 000 employés ont signé une pétition contre cette politique.
Une autre étude de juillet 2023 réalisée par 3 chercheurs de Stanford trouve une baisse de productivité de 10% pour les entreprises qui sont passées en 100% télétravail, et aucun impact sur la productivité, ni positif, ni négatif pour les travailleurs en mode hybride.
Mais si ce n’est pas la productivité qui est en cause, c’est peut-être la créativité ?
Et là non plus, le télétravail ne réduisait la créativité qu’avant l’apparition des outils de collaboration à distance, dans les années 2010. Cet article revient sur plusieurs études sur le sujet et les biais cognitifs que nous avons lorsque nous parlons du télétravail.
Si le télétravail a bien un tort, c’est celui de désengager les collaborateurs, de distendre les liens sociaux déjà noués et de freiner la création de nouveaux. Mais est-ce que c’est réellement le télétravail qui en est responsable ? Ou plutôt l'incompétence des organisations à réellement créer des temps forts qui rassemblent ?
La mauvaise foi
Et puis le comble de la mauvaise foi arrive ensuite avec l’argument : on ne peut pas autoriser le télétravail, vous comprenez, on a dans l’entreprise des personnes qui ne peuvent pas télétravailler, ça crée une société à deux vitesses. Alors oui, les boulangers, les techniciens de maintenance, les ouvriers et un tas d’autres métiers ne peuvent pas télétravailler, et ce n’est pas un choix, c’est inhérent à leur activité. Mais ça n’a jamais été un souhait de leur part !
Tout comme ça paraît évident pour un pâtissier de repartir à la fin de la journée avec quelques douceurs des invendus, je ne m’attends pas à repartir avec des croissants dans mon métier.
Chaque métier a des caractéristiques propres, et certains peuvent être effectués à distance quand d’autres non. Est-ce que c’est injuste ? Non, c’est juste des activités différentes.
On ne demande pas aux juristes et aux guides des musées de venir travailler de nuit par solidarité avec les vigiles de nuit, qui eux, passent des nuits au musée.
De la même façon, ça n’a aucun sens de refuser le télétravail aux métiers qui le permettent sous prétexte que dans la même organisation d’autres métiers ne le permettent pas. C’est un argument fallacieux qui n’est fondé sur aucune revendication de télétravail de la part de travailleurs dont le métier ne le permet pas.
En revanche, le fait de mettre en place le télétravail pour les personnes dont le métier le permet c’est faire un pas vers une flexibilisation des conditions de travail. C’est l’occasion de se demander comment on peut flexibiliser aussi le quotidien des personnes qui ne peuvent pas télétravailler, leur offrir une meilleure expérience collaborateur. Le travail est loin d’être le seul avantage, on peut jouer sur le temps de travail, sur la polyvalence des activités, sur l’aménagement du poste de travail.
J’ai beaucoup aimé le post de Laurent de la Clergerie concernant le télétravail, qui considère que plutôt que d'indemniser de quelques euros chaque mois les télétravailleurs pour les dépenses internet / électricité à domicile, le télétravail est un avantage accordé à certains qui ne peut pas être accordé à d’autres métiers de l’entreprise. Dès lors, il verse une prime de 50€/mois aux personnes qui ne peuvent pas télétravailler, au motif qu’elles perdent du temps dans les transports et qu’elles doivent manger hors de chez elles, donc peut être plus cher.
Et maintenant qu’on a dit tout ça, c’est quoi la bonne solution ?
On décide quoi ?
Il n’y a toujours pas de solution miracle qui s’appliquerait partout. Mais il me semble essentiel de laisser toute l’autonomie à l’ensemble des membres de décider du lieu de travail qui leur convient. Pour certains ça sera 1j de télétravail seulement, pour d’autres ça sera 4 ou encore 0. Là n’est pas l’essentiel, peu importe le lieu depuis lequel chacun s’engage pour l’entreprise, tant qu’il s’engage. Quelqu’un qui n’est pas engagé ne le sera pas plus dans vos bureaux qu’à la maison ou ailleurs.
Attention, laisser chacun libre de s’organiser comme il le souhaite nécessite d’aller plus loin que de prendre un compte Teams aux équipes qui télétravaillent.
On a besoin d’abord d’un cadre de confiance (et pas de contrôle), au diable les horaires, c’est les résultats, les objectifs et l’accompagnement vers l’atteinte de ces objectifs qui prime.
On a aussi besoin de temps forts qui rassemblent vraiment, à distance et en présentiel, chaque organisation saura trouver ses formats et sa fréquence. L’important est d’avoir ces moments dans lesquels les équipes se rassemblent autour d’un même objectif, réalisent qu’elles œuvrent pour le même projet et passent avant tout un bon moment.
Et puis on a besoin de bureaux qui donnent une vraie raison de créer du lien, si je viens juste pour trouver une machine à café, une table et du wifi, quel intérêt j’ai à perdre 1h dans les transports ? Non, j’ai envie de trouver des espaces auxquels je n’ai pas accès à la maison ! Des espaces de rencontres en 1-1, des espaces de réunions à 4, des lieux de vie, des lieux où je peux avoir de nouvelles idées, des lieux pour me concentrer…
Sur ce sujet, voici quelques boites qui font un travail génial d’aménagement des bureaux :
Yemanja : c’est mes bureaux préférés à Paris, leur cœur de métier, c’est l’aménagement de bureau, et ils maîtrisent parfaitement la création d’espaces adaptés aux usages ! Visitez la Source, leur flagship à Paris en drone.
Slean : à l’origine, ils designaient du mobilier pour télétravailleurs, et aujourd’hui ils mettent toute leur expertise du “travailler dans les bonnes conditions” dans l’aménagement des espaces de travail pour les entreprises !
La Colloc : La question à 1 million d’euros, comment créer une communauté et pas seulement un espace de travail ? Les équipes de la Colloc mettent leur savoir-faire pour faire de leurs espaces de coworking une communauté, au service des entreprises, et aménagent les lieux en fonction des usages.
Et puis comme on aime bien se raccrocher à des modèles, je vous partage celui de Spotify. Déjà en allant sur leur site on voit qu’ils ont tout compris avec ce titre en gros : “Work isn’t somewhere you go, it’s something you do.”
C’est marrant que ce soit encore aujourd’hui un avantage compétitif d’écrire ça sur un site carrière, ça en dit long sur l’état des politiques sur le télétravail.
Bref, chez Spotify, les employés choisissent librement entre deux options :
Office-mix : l’employé est plutôt basé au bureau, et peut télétravailler de temps en temps, on s’assure alors que les personnes avec lesquelles il va travailler soient aussi dans ce même mode de fonctionnement. 60% des employés ont fait ce choix.
Home-mix : l’employé est plutôt à la maison, et peut se rendre dans les bureaux s’il le souhaite de temps en temps, mais tout est fait pour que son travail puisse se dérouler à distance. 40% des employés ont fait ce choix.
Ils détaillent sur leur blog la façon dont le management s’est adapté à cette nouvelle organisation, et leurs apprentissages.
Si le mode hybride semble s’imposer partout, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas réussir avec une culture forte sur le présentiel. Chez Mentimeter, boîte suédoise où 100% des postes pourraient être effectués à distance (développeurs, product managers, designers…) ils ont fait le choix depuis le début de l’entreprise d’avoir une culture forte de présentiel, de ne pas autoriser le télétravail, et ils attirent des profils qui se reconnaissent dans cette organisation du travail. Attention ça fonctionne parce qu’il n’y a aucune place laissée au présentéisme, quand on vient au bureau, on sait pourquoi on est là !
S’il n’y a qu’une seule chose à retenir, c’est que la flexibilité n’est pas un avantage, c’est la nouvelle norme pour les métiers qui le permettent. Ne pas le reconnaître c’est s’enfermer dans le siècle passé. Laissons chacun libre de choisir les conditions de travail qui lui conviennent.
News 🔥
Le marathon de juin continue, porté la semaine dernière par la semaine de la QVCT qui a été l’occasion de pas mal de diffusion des documentaires et webinars. Encore une petite dizaine de projections et conférences les deux prochaines semaines, avant de ranger les micros et couper toutes les interactions pour l’été. Pour organiser une intervention / projection ensemble à la rentrée, c’est par ici.
Et puis, entre deux projections, je m’éclate à préparer le prochain documentaire, à lire de tous les côtés, à contacter des speakers potentiels. Deux sont déjà confirmés, on va tourner une belle partie de ce doc en France ! Avec toujours des inspirations à l’international évidemment, mais je vous raconterai tout ça à partir de septembre quand on débutera franchement cette nouvelle aventure.
Je suis aussi super content de la team de partenaire constituée pour ce nouveau documentaire, des historiques avec qui j’ai du plaisir à travailler depuis des années maintenant, et de nouveaux qui vont apporter un autre regard à nos conversations, j’ai hâte de vivre les prochains mois et vous présenter nos réflexions !
On a dévoilé notre map des pionniers avec Clément et Romain Meyer, découvrez les premières innos en ligne, baladez-vous ! (on ajoute +200 autres cet été !)
Deux épisodes de notre podcast Work Buddies sont sortis avec Laetitia Vitaud : L’offboarding, pourquoi c’est essentiel ? et l’épisode plus perso, sur notre rapport aux newsletters.
Quand la prochaine édition arrivera dans votre boite mail, les élections seront passées, n’oubliez pas d’aller voter, faites des procurations, c’est aussi dans les urnes que se joue une partie du futur du travail.
Tes cadeaux pour te remercier de partager le Billet du futur
Pour rappel, si tu recommandes le Billet du futur à d’autres personnes, je t’offre des cadeaux !
1 recommandation : Je t’envoie un épisode de podcast privé de 15’ dans lequel je te partage quelques convictions sur le travail.
10 recommandations : Je t’invite à l’avant-première de mon prochain documentaire
25 recommandations : On s’appelle 30’ pour parler de ce que tu veux !
Il te suffit de cliquer sur le bouton ci-dessous pour obtenir ton lien personnalisé.
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Visionnez mon troisième documentaire, Time to Work (2023)
Visionnez mon quatrième documentaire, AI at Work: who runs the office? (2024)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022) et sa grande sœur "Mais pourquoi j’irais travailler ?” (2023)
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
Bonne journée ! 🌞
Waouh, il y a encore du chemin à parcourir. Votre état des lieux est instructif, merci Samuel
Très bon papier Sam !