Monter en compétences en mode fusée !
Billet du futur #90 : l’IA, un outil pour réduire les inégalités et faciliter la montée en compétences.
Bonjour à toutes et à tous,
Je vous espère en pleine forme ! J’ai eu le plaisir de rencontrer beaucoup d’entre vous sur les différentes projections des derniers jours, de longuement débattre de plein de sujets du futur du travail et j’ai adoré chacun de ces moments. Un des sujets de discussion qui revenait régulièrement était le rôle néfaste de l’IA sur la polarisation des compétences, et c’est le sujet dont j’avais envie de parler aujourd’hui, plutôt en nuançant et en apportant quelques bonnes nouvelles.
Bonne lecture,
Sam
Une fausse bonne idée
Les formations sur l’IA qui fleurissent un peu partout en ce moment promettent de vous faire gagner en productivité en supprimant les tâches répétitives ayant peu de valeur ajoutée et souvent considérées comme désagréables.
Et toutes les analyses montrent que pour les cols bleus et cols blancs ce sont effectivement ces tâches qui peuvent en premier lieu être remplacées par une IA : les tâches routinières. C'est-à-dire les tâches répétitives et dont le processus peut simplement être expliqué et décomposé.
Ma première réaction face à ce constat a été de me dire que c’était formidable et que l’IA était une aubaine pour supprimer une part de la pénibilité de certains métiers. Ce serait alors l’occasion de passer plus de temps sur les tâches plus enrichissantes et stimulantes !
Et à ce moment-là j’ai croisé la route de Yann Fergusson, responsable scientifique du projet LaborIA, laboratoire de recherche-action sur l’intelligence artificielle (IA) dans le milieu professionnel. Je l’ai interviewé pour Welcome to the Jungle : IA, ChatGPT… : « Les formations tournées vers l’humain seront essentielles »
Il m’a expliqué que ce n’était pas si simple. Oui, en nous supplantant sur certaines tâches routinières, l’IA réduit à certains endroits la pénibilité d’un travail, mais la systématisation de l’IA dans ce cas de figure n’est pas toujours bon signe pour deux raisons :
D’abord ces tâches-là agissent dans tous les métiers comme des bulles d’oxygène, elles ne nécessitent pas de concentration. Nous ne pourrions pas passer nos journées à exécuter des tâches stimulantes qui augmentent la charge cognitive et la charge mentale.
Mais surtout, ces tâches que l’on considère comme pénibles et répétitives permettent de structurer une courbe d’apprentissage. La maîtrise d’un socle de tâches que l’expert juge pénibles, permet à un profil peu qualifié de monter en compétences. En supprimant ces tâches, il risque d’y avoir une rupture dans la courbe d’apprentissage avec des sauts beaucoup plus importants dans l’expertise entre le débutant et l’expert.
Et Yann va plus loin encore en soulignant l’importance de ces tâches dans la reconversion :
“La suppression de certaines tâches au profit d’autres activités plus complexes et jugées plus intéressantes, n’est parfois pas un avantage en matière de reconversion. En ramenant les gens vers un cœur métier qui, certes, motive, on se prive de toutes les tâches satellites qui produisent une diversité et permettent aussi de développer d’autres talents. Et ces autres talents facilitent la réorientation qui parfois peut se faire sur les soft skills. Par exemple, si vous avez été très bon en relation humaine en exerçant votre métier de comptable, vous pouvez vous déplacer vers un autre métier où les relations humaines sont très importantes, pas nécessairement lié à la comptabilité.”
Ainsi, un des vrais risques de l’intégration de l’IA dans le travail est la polarisation des compétences entre d’un côté ceux qui maîtrisent de nombreuses tâches au sein de leur métier dont certaines ne sont pas automatisables et pour les autres, savent utiliser l’IA afin d’augmenter leur champ de compétences.
Et de l’autre côté, il y aurait ceux dont l’IA a grignoté une bonne partie des tâches et dont le quotidien moins varié ne permet plus de gagner en expertise sur le métier.
Or dans un monde où les inégalités déjà criantes se trouvent renforcées par l’arrivée de l’IA, il est légitime de se demander s’il s’agit réellement d’un progrès. Et si ce n’est pas le cas, comment faire en sorte que ça le devienne ?
Utiliser l’IA comme un outil pour réduire les inégalités
Heureusement, pour l’instant nous n’en sommes qu’au début de l’intégration de l’IA dans le travail et ses usages et impacts restent à définir.
Et justement, l’étude la plus importante sur l’impact de l’IA sur la gestion des compétences vient de sortir, et elle apporte de bonnes nouvelles !
Aux côtés d’autres chercheurs, Erik Brynjolfsson a étudié l’impact de l’introduction d’une IA générative, un assistant conversationnel pour aider des agents de service client. L’IA s’est basée sur des données provenant de + 5000 agents.
Alors on peut s’en douter, l’introduction de l’IA permet d’augmenter la satisfaction des clients et de résoudre plus rapidement leurs problèmes… Jusque là, rien de bien nouveau !
Mais ce qui est bluffant, ce n’est pas l’impact côté client, c’est celui sur les compétences de travailleurs :
l’IA a permis d’augmenter la productivité des agents de 14% dans l’ensemble, mais elle a surtout augmenté pour les travailleurs les moins expérimentés !
Les travailleurs débutants ont ainsi eu accès aux connaissances des travailleurs plus qualifiés et ont pu progresser plus rapidement. A l'inverse, les travailleurs les plus compétents ont vu moins d'effets positifs à l’utilisation de l’IA et leur avantage comparatif a diminué.
Erik décrit son étude avec ces mots :
“Nous fournissons des preuves suggérant que le modèle d'IA diffuse les connaissances potentiellement tacites des travailleurs les plus compétents et aide les travailleurs plus juniors à progresser plus rapidement dans leur courbe d'expérience. En outre, nous montrons que l'assistance de l'IA améliore le sentiment des clients, réduit les demandes d'intervention managériale et améliore la fidélisation des employés."
Il s’agit de la première étude montrant un transfert de compétences accéléré grâce à l’IA qui se nourrit du travail des meilleurs agents pour transmettre cette expérience à leurs collègues.
C’est assez enthousiasmant, mais cela soulève aussi une nouvelle problématique : Si les employés les plus performants bénéficient moins des avantages de l'IA, tout en contribuant à la formation de leurs collègues, dans nos sociétés individualistes, il y a de bonnes chances pour qu’ils ne voient pas l’IA d’un bon œil. Il s’agit alors de revoir la façon dont ces collaborateurs sont rémunérés pour ne pas simplement prendre en compte la performance mais aussi la contribution à la transmission des compétences à travers l’IA.
Pour l’instant, l’IA n’est encore que trop peu intégrée par les entreprises, son adoption massive ces derniers mois a principalement lieu au niveau individuel. Le fait de comprendre comment l’IA fonctionne, à quel point elle est fiable et de réfléchir aux différentes façons de l’utiliser dans son travail dépend seulement de la curiosité de chacun.
Si ce n’est pas déjà fait, c’est le moment pour y jeter un œil et prendre les devants avant que son usage ne soit intégré par les entreprises.
En écrivant ces dernières lignes, je me sens obligé de vous partager cette vidéo de DHH (le retour !) nous invitant à faire preuve de bon sens. Ce n’est pas parce que l’on peut que l’on doit. Oui, la vitesse à laquelle ChatGPT rédige un texte est impressionnante, mais ça ne sert à rien de lui faire rédiger un texte long de 3 paragraphes qui aurait pu être exprimé en 2 lignes car la personne à qui on envoie ce texte va justement devoir faire l’effort d’identifier dans le bullshit créé, les 2 lignes d’informations importantes.
News 🔥
Si la newsletter arrive avec un léger retard, c’est parce que les derniers jours ont été ponctués de projections de Time to Work et je n’ai pas trouvé le temps de la rédiger avant ce fameux train retour me ramenant à la maison pour la pause estivale. J’ai eu le plaisir de débattre dans des entreprises bien différentes, aux 4 coins de la France, et dans des secteurs aussi variés que le luxe, l’énergie, l’industrie, l’assurance ou la banque, ce qui montre bien que les problématiques d’attractivité et d’organisations sont similaires.
En parallèle, j’ai timidement avancé sur la préparation de mon prochain documentaire qui sera tourné à partir de septembre ! Les deux mois d’ici-là seront consacrés à toute la phase d’écriture, de pré-production et quelques semaines de vacances.
Et les projections et interventions reprendront à la rentrée ! Si l’idée d’une projection suivie d’une conférence-débat vous tente pour initier des transformations et rassembler vos équipes autour du sujet du travail, c’est par ici pour me contacter !
Sur un tout autre sujet, La Corée a annoncé son intention de passer à la semaine de 69 heures, évidemment la mesure a été rejetée par la population, mais le plus étonnant est l’argument utilisé pour contrer cette idée. J’ai raconté cette histoire folle dans ce post.
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Visionnez mon troisième documentaire, Time to Work (2023)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022), la suite arrive !!
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
Bonne journée ! 🌞
Bonjour Samuel,
je viens enrichir ce point avec un angle que vous ne traitez pas.
Les conséquences de nos usages futurs des #IA génératives sur nos compétences cognitives.
C'est le thème de ma tribune dans Usbek et Rica : https://usbeketrica.com/fr/article/l-ia-generative-sonnera-t-elle-la-fin-de-notre-humanite
Avec un grand plaisir pour échanger sur cet angle.
Arnaud.