Un monde sans travail ?
Billet du futur #87 : Est-ce la fin du travail ? + nouveaux épisodes de podcast, un nouveau projet…
Bonjour à toutes et à tous,
Après un bon mois de pause, c’est le retour du billet du futur. 🥳
Entre temps, j’ai profité de la sortie de Time to Work pour prendre quelques jours de vacances et à mon retour, les projections en entreprises se sont enchaînées aux quatre coins de la France, et plus d’une vingtaine sont prévues avant la pause estivale.
Ce sont avant-tout des moments privilégiés pour recueillir des retours sur le documentaire, mais aussi pour parler du futur du travail et ouvrir le débat sur bien d’autres sujets ! Des discussions précieuses pour nourrir mes réflexions sur les prochains sujets que j’ai envie de traiter.
Ces dernières semaines, j’ai plongé dans ce qu’on pourrait appeler un rabbit hole, l’intelligence artificielle, avec un intérêt particulier pour son impact sur notre rapport au travail et la gestion des compétences. Il y a tant à dire sur le sujet qu’une newsletter ne suffirait pas, cela mériterait presque un documentaire complet… je vous en reparle un peu plus loin. 👀
J’ai le sentiment que les centaines d’articles s’inquiétant du remplacement des emplois par l’IA au moment où ChatGPT est massivement adopté, masquent les vrais défis que nous allons devoir relever… Mais ils ont au moins le mérite de remettre sur la table le fantasme de la fin du travail.
Pour cette édition, j’ai choisi de reprendre le sujet depuis le départ en me demandant pourquoi, avant même l’arrivée de l’IA, malgré les énormes gains de productivité liés au progrès technique, on continue à travailler.
La question est donc, pourquoi Keynes s’est trompé ?
Bonne lecture,
Sam
Le fantasme de la fin du travail
En 1930, John Maynard Keynes prédisait que d’ici une centaine d’années, nous ne travaillerions en moyenne qu’une quinzaine d’heures par semaine et que le travail serait largement remplacé par des loisirs. Il imaginait que le progrès technique permettant de réaliser des gains de productivités conséquents, nous pourrions en profiter pour travailler moins.
Et le début du raisonnement de Keynes était juste, la productivité, définie comme le rapport entre la production et les moyens mis en œuvre pour produire (capital & travail) n’a fait qu’augmenter, avec une nette accélération à partir du milieu du XXe siècle.
Cependant, nous ne pouvons que constater que l’augmentation de la productivité n’a pas eu les effets attendus sur notre temps de travail.
Alors pourquoi ?
On a choisi de produire plus qu’avant
L’augmentation des gains de productivité a été perçue comme une opportunité pour augmenter la production plutôt que d’en profiter pour réduire le temps de travail. Nous avons fait le choix de produire bien plus pour répondre à de nouveaux besoins, ce faisant, nous avons complexifié notre économie.
Les gains de productivité n’ont pas été bien partagés
Pendant la première moitié du siècle, la Grande Dépression et les deux guerres mondiales ont eu des effets négatifs sur l'économie mondiale, ce qui a conduit à une réduction des inégalités économiques. Les politiques sociales mises en place dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont également contribué à réduire les inégalités économiques. Les gains de productivité étaient répartis de façon plus égalitaire.
Cependant, à partir des années 1980 et 1990, les politiques néolibérales ont entraîné une augmentation des inégalités économiques, avec une concentration accrue de la richesse entre les mains des plus riches. Et cette tendance a été particulièrement marquée dans les pays en développement, où la libéralisation économique et la mondialisation ont favorisé une augmentation des inégalités.
Ainsi, la répartition des gains de productivité n’a pas été aussi juste dans la durée que ce que Keynes imaginait et les travailleurs en ont perçu une part bien plus faible, les conduisant à devoir travailler autant, voire plus, pour maintenir leur niveau de vie.
On est passé à une économie de service
Le monde dans lequel vivait Keynes était industriel, et les gains de productivité étaient énormes, directement imputables au progrès technique, et facilement mesurables. Mais dans les années qui ont suivi, l’économie s’est tertiarisée, et une grande part des travailleurs ont commencé à travailler dans les services, là où la productivité est beaucoup plus difficile à mesurer et ne permet pas toujours de réaliser d’importants gains.
Dans tous les métiers de l’enseignement, des soins, de l’accompagnement… les indicateurs à surveiller ne sont pas ceux de la productivité !
Le travail a une valeur morale
On quitte ici les cours d’économie pour parler d’humains à humains.
Le travail a une valeur morale.
C’est peut-être la raison principale à mes yeux, qui fait que peu importe les gains de productivité que nous permettent de réaliser les machines, la fin du travail n’a pas encore sonné et ne sonnera probablement jamais.
Le travail n’est pas seulement un gagne-pain, c’est aussi ce qui nous donne un sentiment d’utilité, un sentiment de reconnaissance, il nous permet de jouer un rôle dans la société.
C’est une des raisons pour lesquelles pour chaque révolution technologique, il y a eu de forts mouvements de contestation “les machines vont nous voler notre travail” . Les peurs ne sont pas uniquement économiques, elles sont aussi morales.
S’il y a aujourd’hui tant de bullshit jobs, c’est en partie parce qu’à mesure que nous avons complexifié notre économie, nous avons inventé de nouveaux métiers, certains répondant aux besoins du nouveau monde dans lequel nous vivions, d’autres répondant à des besoins artificiels que nous nous sommes créés mais permettant à chacun de trouver sa place dans la société à travers un travail bien réel.
L’intelligence artificielle, une révolution comme une autre ?
Les analyses se divisent sur la question, pour certains, l’IA est une évolution comme une autre qui va détruire des emplois et en créer de nouveaux.
Pour d’autres au contraire, l’arrivée de l’IA n’est pas comparable aux autres évolutions, c’est une révolution qui va tous nous mettre au chômage et dont il faudrait soit s’inquiéter, soit se réjouir de bientôt vivre dans une société de loisir.
L’avenir nous dira qui aura eu raison, mais j’ai le sentiment qu’aucune de ces deux prédictions n’adviendra. L’IA est une révolution à bien des égards, mais elle n’en reste pas moins un progrès technique comme un autre. Le nombre d'emplois n’est pas quelque chose de figé, de définitif qui va être grignoté par l’IA petit à petit. C’est un flux, et comme pour chaque nouvelle technologie, son arrivée va entraîner des transformations, des destructions et des créations.
La vraie question, et c’est elle qui peut être inquiétante car nous n’y serons pas tous prêts de la même façon, c’est : à quelle vitesse la transition va se produire ? Comment allons-nous faire pour aider celles et ceux dont les jobs sont transformés à travailler différemment ? Comment allons-nous anticiper la gestion des compétences, et former tout au long de la vie les individus ? Comment remplacer tous les bienfaits du travail (lien social, reconnaissance, apprentissage, occupation…) à travers d’autres activités, qui ne sont aujourd’hui pas encore considérées comme du travail ? Comment saisir l’opportunité de cette révolution pour réorienter nos activités vers des métiers qui ont du sens d’un point de vue collectif et individuel ?
C’est à toutes ces questions là que j’ai envie de trouver des réponses. Le documentaire Time to Work marquait la fin de la saga Work in Progress, mais nous ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Avec la team KÖM nous travaillons sur un tout nouveau format, un sacré défi d’un point de vue production que nous aimerions sortir dès le printemps 2024.
Un nouveau format, et un nouveau sujet, bien qu’il soit toujours lié au Future of Work. Nous comptons sortir des utopies et dystopies habituelles pour apporter de la nuance et proposer une vision toujours optimiste et réaliste des bouleversements à l'œuvre.
Pour le moment, place à l’écriture, j’en reparlerai bientôt 👀
News 🔥
J’adore ce moment de l’année, au-delà des apéros au soleil, c’est pour moi la fin d’un cycle et le début d’un nouveau. Je passe mes journées à lire, écouter, rencontrer pour préparer ce nouveau sujet. Je me suis isolé pour une semaine sur une île Croate le temps de me plonger dans ce nouveau sujet.
Et à mon retour, plein de projections arrivent jusqu’à l’été !
Si vous souhaitez en organiser une à partir de la rentrée, c’est par ici !
Deux nouveaux épisodes de podcast sont en ligne ! Comment avons-nous pu en arriver à cette situation où les métiers les plus utiles sont aussi les plus dévalorisés ? J’ai interrogé Tristan Brosse, interne à l’hôpital public de Lyon en anesthésie réanimation sur son expérience, sur son regard sur les dysfonctionnements et ses idées pour revaloriser ces métiers essentiels. Par ici pour l’écouter, il dure 25’. Et le dernier épisode est une discussion avec Claire Bonenfant sur le lien entre futur du travail et transition écologique ! J’ai pris beaucoup de plaisir à l’enregistrer, il est en ligne juste ici.
J’ai discuté une heure avec Virginie pour raconter mes réflexions du moment dans cet article dans le Parisien (et merci la team Morning de nous avoir laissé faire les photos dans vos beaux espaces !)
La semaine de sortie du documentaire était intense, pour se rappeler de ces bons souvenirs, on a sorti un vlog !
J’ai commencé à partager quelques extraits de Time to Work sur les réseaux, et découvrir le film complet en ligne, c’est par ici !
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022)
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
Merci d’avoir lu ce billet ! S’il vous a plu, abonnez-vous pour ne pas louper les suivants :
Bonne journée ! 🌞