Congé Sabbatique : les dirigeants s’absentent 3 mois
Billet du futur #118 : Quand le chat n’est pas là, que font les souris d’une entreprise libérée ?
Bienvenue dans cette nouvelle édition du billet du futur ! Ça fait maintenant 5 ans que j’explore les meilleures pratiques du Futur du Travail, et cette newsletter est le meilleur moyen de découvrir mes apprentissages en avant-première.
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Bonne lecture,
Sam
Le congé sabbatique, une prise de recul qui deviendra la norme ?
Je vous propose un format interview pour cette édition car j’avais envie de vous partager le retour d’expérience de Marie et Quentin, à la tête de Yemanja, qui reviennent après 3 mois d’absence dans leur entreprise.
Yemanja fait de la conception et de l’aménagement de bureaux, ils ont la particularité d’avoir un atelier en plein cœur de Paris où ils créent des pièces sur mesure pour chaque projet. Et au-dessus, leur flagship : La Source, ils ont montré l'étendue de leur art sur 1200m² en plein Paris.
Alors forcément, quand je suis de passage en ville, c’est de là-bas que j’ouvre mon ordi.
Mais on n’est pas là pour parler d’aménagement de bureau, l’autre particularité de Yemanja, c’est qu’il s’agit d’une entreprise libérée. Ils ont un fonctionnement passionnant truffé de bonnes pratiques, alors je n’ai pas été surpris quand j’ai appris que les deux fondateurs, Marie et Quentin s’absentaient 3 mois pour un congé sabbatique et laissaient l’entreprise aux mains des équipes.
Si je n’étais pas surpris, j’étais en revanche bien curieux ! Parce que la pratique existe aux US, mais est très rare en France, et je suis assez convaincu que ça nous paraîtra normal dans une vingtaine d'années, dans un monde où notre rapport au temps de travail à l’échelle de la vie aura bien évolué.
J’écrivais l’année dernière :
“La retraite telle que nous la connaissons est un héritage d’une époque industrielle où les carrières étaient linéaires. A l’ère numérique, ce découpage de la vie paraît obsolète.
Plutôt que de bénéficier d’un long temps de repos à un moment de la vie où nous sommes moins en forme qu’avant, l’idée est de permettre à chaque travailleur de jouir de différentes périodes de repos allant de plusieurs mois, au fil de sa carrière et en fonction de ses cotisations. Chacun est libre d’occuper ce temps-là de la façon dont il le souhaite : profiter d’un congé parental plus long, consacrer du temps à une association, voyager, ne rien faire, se former à une nouvelle compétence, créer une société… Il y a autant de façons de “se reposer” que de façons de vivre sa retraite.”
Alors j’avais plein de questions à leur poser.
Merci Marie et Quentin de prendre ce temps ensemble à votre retour. Est-ce que vous pouvez déjà me décrire un peu le fonctionnement de Yemanja pour contextualiser, quelle est par exemple la gouvernance ?
Marie Vaillant (MA) : Depuis sa création il y a 8 ans, Yemanja met en œuvre les principes de l’entreprise libérée. Cela signifie, notamment, que chacun est autonome et responsable de son travail. Les cheffes de projet et les bricoleurs gèrent les aménagements des bureaux de nos clients selon la méthodologie et les valeurs de Yemanja, tout en assumant eux-mêmes l’ensemble des décisions du projet.
Quentin Audrain (QA) : Chaque membre de l’équipe dispose de la liberté et de la responsabilité d’entreprendre ce qui lui semble bon pour l’entreprise. Chacun dispose aussi de tous les outils lui permettant de travailler dans ce sens : accès aux chiffres, carte bleue sans limite pour tous les membres de l’équipe, partage de la vision et des valeurs…
Qu'est-ce qui vous a poussé à prendre un congé sabbatique de 3 mois ? C’était une envie perso ou vous souhaitiez tester le modèle d’entreprise libérée jusqu’au bout ? Qui a eu l’idée ?
MV : Il y a eu deux moteurs pour cette période “sans fondateur” chez Yemanja. Le premier moteur est personnel. Quentin et moi ressentions l’envie de prendre une grande respiration pour renouveler notre énergie et enthousiasme pour Yemanja. Le second moteur est effectivement lié à notre modèle d’organisation. Nous avons eu l’intuition que notre absence serait une validation définitive de notre confiance absolue dans l’équipe, et qu’elle permettrait au groupe de d’éprouver entièrement sa liberté. L’idée vient de nos lectures comme “le patron qui ne voulait plus être chef” par exemple… et du besoin de voyage exprimé par Quentin !
Et alors, qu’avez-vous fait pendant ces 3 mois ?
QA : J’ai profité de Paris et de ses JO et voyagé 9 semaines avec ma compagne dans des pays lointains que nous rêvions d’aller découvrir.
MV : Cette question m’est beaucoup posée… et ma seule réponse est que je n’ai rien “fait”. L’emploi du verbe “faire” pour cette question est révélateur : doit-on absolument réaliser ou produire quelque chose ?! Je n’ai rien fait : j’ai lu, j’ai écouté, j’ai contemplé, j’ai dialogué, j’ai joué, j’ai médité… Je suis mère de famille avec 3 enfants adolescents. Être totalement disponible pour mes enfants a été très précieux pour notre relation. Toute ma famille était déçue que je retourne travailler !
Haha, je n’en doute pas, on reviendra à vous retour au bureau, mais avant ça, j’ai envie de savoir comment vous avez préparé votre départ. Comment vous êtes vous organisés ? Vous vous étiez fixé des règles ?
QA : Nous avons d’abord beaucoup échangé tous les deux pour aligner nos visions de ce projet. Puis, 6 mois avant notre départ, nous avons communiqué le projet à l’équipe. L’idée était de laisser le temps à tout le monde de s’approprier le projet et d'observer tous ensemble les sujets qui méritaient d’être particulièrement préparés. 2 mois avant de partir, nous avons établi une liste de rôles à répartir : comme la prise en main du standard ou la gestion des problèmes IT. Nous avions établi que nous n’étions pas joignables, même si un “code rouge” était quand même possible !
Comment l’équipe a-t-elle réagi à cette annonce ?
QA : L’équipe a très bien accueilli le projet, même si plus la date approchait, plus une légère inquiétude a pu se faire sentir pour certains sujets très spécifiques. Globalement, tout le monde a vu ce projet comme un moment idéal pour vivre notre modèle à fond.
MV : Au départ, l’équipe a été surprise et peut-être dubitative. Au fil du temps, nous avons pu expliquer en profondeur nos motivations et l’équipe a été à fond avec nous. Le jour de notre départ, tout le monde était prêt et serein. Certains ont apprécié une sensation de liberté supplémentaire.
Et alors, il y a eu un code rouge ? Avez-vous eu des contacts avec l’équipe ?
QA : Nous avons eu zéro contact avec l’équipe ou nos clients. J’ai même assisté à un évènement sportif prévu de longue date avec une personne de l’équipe : nous n’avons pas parlé une seule fois de Yemanja.
Qu’est-ce qui vous a surpris dans le fonctionnement en votre absence ?
QA : La plus grande surprise a été finalement que tout a complètement roulé. Notre retour a été un non-évènement, l’équipe était tellement lancée que nous n’avons pas trop su quoi faire le premier jour ! C’était à la fois ultra positif car cela prouvait bien la réussite de l’expérience, et en même temps très déroutant !
MV : Si nous étions restés absents un mois de plus, cela n’aurait pas été un problème ! Par la suite, nous avons compris que, pendant cette période, rien n’avait changé. Les méthodes, les rituels et l’organisation avaient été respectés et maintenus alors qu’ils auraient pu être remis en cause ou transformés. Je dis souvent que je suis régulièrement époustouflée par les talents et les personnalités des membres. Pendant cette période “sans fondateur”, ils ont continué de convaincre des prospects par leur créativité, de livrer des projets avec engagement, de rendre des clients heureux, etc. Ils ont réagi en donnant le meilleur d’eux-mêmes… comme ils le font tous les jours ! En revanche, il nous a été rapporté que notre absence a permis à certains collaborateurs habituellement discrets dans le collectif de participer davantage. Sans les fondateurs, les recrues les plus récentes se sont sentis plus en confiance.
Il n’y a pas eu de changements dans les dynamiques de pouvoir ou dans la manière dont les décisions ont été prises pendant votre absence ?
MV : Nous n’avons pas remarqué de tentative de prise de pouvoir… Toute la dynamique de l’organisation libérée a parfaitement fonctionné : liberté de parole, équivalence des points de vue, partage des responsabilités. Yemanja a dû faire face à des situations difficiles pendant la période, comme le départ d’un collaborateur ancien et le recrutement d’une nouvelle personne. Les décisions collectives importantes ont été prises quotidiennement : staffing sur les projets, analyse des chiffres, stratégie de réponse à un prospect… Tout ceci s’est déroulé sans nous et, manifestement, cela n’a posé aucune difficulté. Notre présence n’aurait pas facilité ou amélioré les décisions.
QA : Je pense que cette expérience a surtout permis à l'équipe de mieux identifier les sujets nécessitant vraiment notre intervention en tant que fondateurs, et ceux pouvant être gérés de manière autonome.
Qu’est-ce que vous faites différemment à votre retour ?
MV : Je lutte pour ne pas retomber dans l’opérationnel ! Il a été prouvé que notre intervention dans les opérations est inutile. En revanche, nous avons mis le doigt sur le rôle des fondateurs, nous nous efforçons de construire ce nouveau rôle. Donner un cap, rappeler le cadre, incarner les valeurs, veiller sur la cohésion… tout ceci n’est pas accessoire et revient aux fondateurs.
J’ai aussi découvert une belle capacité à ne rien faire d’autre que vivre. J’ai une addiction au travail et j’ai d’habitude beaucoup de plaisir à beaucoup travailler. C’était très intéressant de se débarrasser de toute charge mentale pour savourer tranquillement le quotidien. Je ressens une grande culpabilité si je ne suis pas irréprochable. Le “management par l’exemple” est très pratiqué par les chefs d’entreprise : arriver le premier, produire des documents impeccables, connaître tout ce qui se passe… Cela peut être épuisant. L’équipe Yemanja a travaillé sans “mon exemple” pendant 3 mois. J’essaye donc de m’enlever cette obligation.
Quentin, qu’est-ce que tu as ressenti pendant cette période ? L’idée de ne jamais revenir vous a traversé l’esprit ?
QA : J’ai un peu pensé à Yemanja les deux premières semaines, je me demandais si l’équipe allait bien ! Et puis, ensuite, lorsque Yemanja me traversait l’esprit, c’était plutôt pour réfléchir à ce que j’aimerais que l’entreprise devienne dans le futur ! On se fait très vite à ce nouveau rythme, plus lent, et sans les dizaines (centaines ?) de notifications que l’on reçoit tous les jours.
Et non, je n’ai pas imaginé ne pas revenir. J’aime Yemanja, son équipe et ses projets, j’étais donc très content de tout retrouver. Je pense même que l’expérience est d’autant plus bénéfique qu’elle a une fin !
MV : J’avoue que dès le premier jour de la période, j’ai égoïstement pensé à la chance incroyable qui m’était offerte. Qui peut être en vacances trois mois - sans avoir la responsabilité d’un bébé ou la question d’une suite professionnelle ? J’ai surtout pensé à profiter au maximum de cette opportunité ultra rare !
Vous avez envie de renouveler l’expérience ?
QA : Philosophiquement oui, sans hésiter. Mais je pense que cette expérience doit être faite lorsque l’organisation change et en a besoin. Ce qui n’est pas pour tout de suite à mon avis !
Vous le recommanderiez à d’autres dirigeants ? Avec le même format ?
QA : Je le recommande sans aucun doute. Ça permet de se couper des habitudes qui nous retiennent dans un rôle dont l’organisation n’a plus besoin. Je conseillerais de partir entre 3 à 6 mois, car je me dis parfois que quelques semaines de plus auraient peut-être permis de faire émerger d’autres idées.
MV : Si un dirigeant se pose la question de prendre du recul, alors oui, il faut absolument le faire, quel que soit le format. Mais il ne faut pas se forcer, il faut en avoir envie. L’expérience sera réussie si la confiance dans l’équipe et l’organisation est sincère.
Et pour d’autres collaborateurs, pas forcément des dirigeants ?
MV : Je suppose que chacun sort gagnant d’une pause professionnelle choisie. On revient reposé et ressourcé. La difficulté est de trouver comment le rôle va être pris en main en l’absence de celui qui le gère habituellement. Idéalement, pour que des conséquences positives arrivent, le moment doit être opportun pour l’entreprise et le reste de l’équipe.
Est-ce que ça a fonctionné parce que vous avez ce fonctionnement d’entreprise libérée ou ça peut fonctionner dans d’autres modes d’organisation ?
QA : Je suis persuadé que cela peut fonctionner pour tout type d’organisation. Après, il est certain que la confiance et l’autonomie sont des pièces maîtresses d’un tel projet. Il faut que ces valeurs soient incarnées au quotidien dans l’entreprise pour favoriser sa réussite.
MV : J’imagine que dans une organisation plus hiérarchique, il serait tout à fait possible de répartir les responsabilités du dirigeant dans l’équipe. Dès lors que la confiance peut être donnée et reçue sans arrière-pensée, le dirigeant peut s’absenter !
Un dernier petit mot, de vive voix ?
Dites moi si ce format vous plait, parce que j’ai la chance de passer régulièrement du temps au contact de pionniers, et parfois ce n’est pas un podcast, un documentaire ou un bouquin dont on a envie pour se frotter aux bonnes pratiques, mais une interview bien brute.
Parrain du futur
Ce billet du futur est parrainé par Swapn.
Dans quelques mois, je fêterai les 5 ans de Work in Progress, et à l’époque, quand j’ai créé la société, j’ai bénéficié d’un “unfair advantage” : mon père est expert comptable.
Alors choisir la forme juridique, rédiger des statuts, et me lancer dans toutes les démarches administratives n’a pas été la partie la plus compliquée.
Mais à moins que vous ayez aussi un comptable sous la main pour vous aider, il n’y a pas de raison de faire ça tout seul.
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Et en plus, c'est beaucoup moins cher que ce que vous imaginez...
News 🔥
La semaine dernière j’ai donné ma 60e conférence de l’année, avec toujours le même enthousiasme de retrouver des salles pleines, c’était du côté de Lille, et le lendemain en Belgique ! J’en ai profité pour partager ma vision de ce qu’était une “bonne conférence”. J’adore le côté un peu inédit de mêler extraits, des moments de conférence et Q&A, jouer avec le rythme pendant une heure, du trailer intense pour se réveiller, à l’extrait plus calme qui nous plonge dans une analyse…
Encore 4 interventions cette année avant les vacances bien méritées, et un petit challenge pour l’année prochaine : apprendre à parler moins vite.
Pour organiser une projection, une conférence ou un événement ensemble, tout se passe par ici.
En parallèle, le montage du prochain documentaire avance super bien ! Je sors de 3j intensifs avec Flo, le réalisateur, et ça y est nous avons une structure qui nous plait bien, on a fait les choix principaux côté édito. Vu de l’extérieur ça n’a pas l’air très fun de passer 8h par jour devant un écran à écouter en boucle des gens parler de travail, mais c’est captivant, et c’est là que toute la magie de l’écriture opère. C’est dans ces moments qu’on se rend compte des liens entre chaque interviews, les ponts thématiques qu’on peut créer, c’est un plaisir presque mathématique de construire un documentaire.
Rendez-vous en avril pour la sortie ! Je travaille d’ailleurs sur des projections ouvertes au public dans des cinémas dans les 10 plus grandes villes françaises, il y en aura forcément une pas loin de chez vous !
Et puis un autre événement va bientôt faire son retour, si vous étiez présent à la dernière édition de la WIP Expedition Night, vous savez que ce rendez-vous annuel approche. Je vous dévoile tout le programme dans le prochain billet !
D’ici-là profitez de la fin d’année, de vos proches, et amusez-vous !
Tes cadeaux pour te remercier de partager le Billet du futur
Pour rappel, si tu recommandes le Billet du futur à d’autres personnes, je t’offre des cadeaux !
1 recommandation : Je t’envoie un épisode de podcast privé de 15’ dans lequel je te partage quelques convictions sur le travail.
10 recommandations : Je t’invite à l’avant-première de mon prochain documentaire
25 recommandations : On s’appelle 30’ pour parler de ce que tu veux !
Il te suffit de cliquer sur le bouton ci-dessous pour obtenir ton lien personnalisé.
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Visionnez mon troisième documentaire, Time to Work (2023)
Visionnez mon quatrième documentaire, AI at Work: who runs the office? (2024)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022) et sa grande sœur "Mais pourquoi j’irais travailler ?” (2023)
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
Bonne journée ! 🌞
Top, ce format interview ! Merci pour ces partages. Corinne