Faire bosser les vieux
Billet du futur #106 : Réinventer le travail à la retraite - démographie et travail.
Bienvenue dans cette nouvelle édition du billet du futur ! Ça fait maintenant 5 ans que j’explore les meilleures pratiques du Futur du Travail, et cette newsletter est le meilleur moyen de découvrir mes apprentissages en avant-première.
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Bonne lecture,
Sam
Faire bosser les vieux
Derrière ce titre un brin provocateur, j’avais envie de creuser le sujet de la démographie et surtout les bonnes pratiques qui tentent de répondre à cette tendance du vieillissement de la population.
On a tous des personnes âgées autour de nous, et si tout se passe bien, on finira par être vieux un jour. On est d’ailleurs tous déjà le vieux de quelqu’un.
Pour se rendre compte du phénomène, parlons peu parlons chiffre.
La population française continue de vieillir. Aujourd’hui, 20.5% des français ont +65 ans et en 2050 ils représenteront 28% de la population. Le mouvement est le même dans le monde entier. L’ONU prévoit d’ici 2050 le doublement du nombre de personnes de +65 ans dans le monde, passant de 700 millions de personnes à 1,5 milliard.
Et avec le vieillissement de la population, c’est aussi le nombre d’actifs qui diminue et le nombre de personnes en situation de dépendance qui augmente. Environ 3 millions de personnes deviendront dépendantes dans les années qui viennent en France, selon les estimations du rapport Libault, et 25% des actifs joueront également le rôle d’aidants à horizon 2030.
Bon une fois qu’on a dit ça, quelles sont les solutions ? Une partie de la réponse viendra certainement de l’accueil de migrants, et pour certains pays comme le Canada ou l’Allemagne, les politiques d’accueil ont largement débuté. Et peut-être qu’une autre partie viendra de la technologie, notamment si l’IA nous permet de réellement réaliser des gains de productivité substantiels.
Et puis en parallèle, je me demande si on ne pourrait pas aussi compter sur le travail des personnes âgées. Et au risque de faire bondir celles et ceux qui s’opposaient à la réforme des retraites il y a quelques mois, je ne vois pas uniquement l’idée d’un bon oeil pour faire tenir notre modèle social mais aussi parce qu’un monde où l’on travaille jusqu’à ses 80 ans me semble réjouissant ! (A plein de conditions bien évidemment !)
Les solutions japonaises
En matière de vieillissement de la population, un pays a de l’avance sur nous, le Japon.
D'ici 2031, les travailleurs japonais de +55 ans représenteront près de 40 % des actifs. Pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre, les japonais n’ont pas d’autres choix que de travailler jusqu’à un âge avancé. J’avais été frappé de voir des personnes de 70 et 80 ans travailler dans plein de métiers différents lors de mon séjour pour Time to Work. On les croise chaque jour dans plein de situations différentes, ils font clairement partie du paysage.
Alors comment les japonais se sont-ils adaptés pour prolonger les carrières ?
Former les travailleurs :
D’abord, ils ont compris que les motivations n’étaient plus les mêmes passé 60 ans. Le premier levier de motivation au travail pour toutes les classes d’âges est le salaire. Une bonne rémunération est attendue par n’importe quel travailleur, toutes les études s’accordent là-dessus. Mais au-delà de 60 ans, un point de bascule se produit. Le premier levier de motivation devient l’intérêt que porte l’individu sur son travail, et les critères d’autonomie et de flexibilité augmentent considérablement. Cette étude détaillée de Bain sur le sujet est très chouette pour comprendre l’évolution des motivations au travail en fonction de l’âge et des pays.
Et éprouver de l'intérêt pour son travail repose sur la curiosité, l’évolution des tâches, la maîtrise de nouvelles compétences et donc la formation !
Au-delà d’apprendre toute sa vie pour mettre à jour ses compétences dans un monde où celles-ci évoluent rapidement (upskilling), les japonais n’exercent pas nécessairement le même emploi une fois passé l’âge de la retraite et se reconvertissent dans des activités différentes avec souvent une pénibilité plus faible. Et pour ça, il faut les former ! C’est tout l’enjeu du reskilling.
L’entreprise Tokyo Gas l’a bien compris et a créé un programme d’accompagnement à la carrière pour tous les employés de plus +50 ans. Le programme offre un soutien au développement de carrière, des formations et un mentorat individuel. Et ça semble fonctionner puisque +90 % des salariés arrivés à l’âge de la retraite ont été réembauchés par l’entreprise.
Et puis, faire collaborer des personnes de toutes les classes d’âge dans une même équipe permet un transfert de compétences énorme, dans toutes les directions !
Une société industrielle canadienne me partageait son organisation du travail, elle avait donné la priorité de choix des plages de travail aux employés les plus âgés. Résultat, ils choisissaient tous les mêmes moments : le week end (car mieux payé). Sauf qu’ils étaient aussi les travailleurs les plus qualifiés. Et le reste de la semaine, les personnes les moins qualifiées pour le job se retrouvaient entre elles. Au-delà de créer quelques erreurs qui auraient été évitées avec une meilleure répartition des profils, le partage de compétences était au point mort. En réorganisant les ressources de façon à mieux mélanger toutes les classes d’âges dans les différentes plages horaires, le partage de compétence est reparti à la hausse et c’est toute l’organisation qui en a bénéficié.
Adapter l’organisation du travail
A 60 ans passés (et même avant pour certains), on n’a peut-être plus envie de travailler autant ni sur le même rythme qu’auparavant. Et on l’a vu plus tôt, la flexibilité et l’autonomie sont des critères qui comptent de nouveau beaucoup pour les travailleurs de +60 ans.
Les entreprises qui arrivent à attirer cette partie de la population active ont mis en place de nouvelles formes d’organisation pour proposer des journées et des semaines plus courtes ou encore des postes de travail aménagés avec des pauses plus longues et plus fréquentes.
L’entreprise Nojima Co. qui vend des produits électroniques a relevé sa politique de retraite de 65 à 80 ans en 2020, avant d'abolir complètement la limite d'âge - ce qui permet aux travailleurs plus âgés de continuer à travailler au cas par cas sur la base du volontariat.
Et l’organisation a accompagné cette mesure d’un programme qui propose à ce groupe de travailleurs une réduction des heures de travail, à raison de cinq heures par jour, en semaine de 4 jours ! Bien loin des semaines de travail japonaises habituelles !
Changer de regard sur le travail
Au Japon, une partie de ces emplois de personnes âgées sont précaires et motivés par le besoin de gagner sa vie à côté de la maigre retraite que verse le gouvernement. Mais ce n’est pas uniquement par nécessité que la plupart des personnes en âge de se balancer dans une rocking chair prennent le chemin du travail chaque semaine. C’est une philosophie de vie avec une toute autre vision de ce que le travail représente dans la vie.
La longévité des japonais est de notoriété publique, dans l'archipel en général, mais tout au sud particulièrement, du côté d’Okinawa. Et si vous ne connaissez pas le coin, vous avez certainement entendu parler du concept désormais galvaudé et qui a fait le tour du monde : l’ikigai. Cette idée qu’il faut trouver un travail qu’on aime, qu’on sait faire, qui est utile et pour lequel les gens sont prêts à nous payer.
Et à Okinawa, le concept de retraite n’existe pas, le travail fait partie de la vie jusqu’à la mort ou la dépendance, et toutes les personnes très âgées sur place décrivent le travail comme une des raisons de leur longévité. Le documentaire Live to 100: Secrets of the Blue Zones en donne plusieurs exemples avec un épisode entier sur Okinawa.
Alors évidemment, on ne peut porter ce regard sur le travail qu’à condition de ne pas avoir passé 40 ans de sa vie à souffrir, à être dévalorisé, à partir bosser à reculons. L’idée de poursuivre une activité au-delà de l’âge de la retraite va de pair avec l’idée de s’épanouir dans son travail tout au long de sa vie.
Et on le voit bien, les personnes qui semblent exercer des métiers passion : journalistes, auteurs, artistes, comédiens, chefs, ne semblent pas fixer d’âge limite à leur activité.
Alors j’anticipe les grincheux “va dire ça au livreur uber eats, à l’éboueur, à l’agriculteur, à l’aide soignante et à l’ouvrier sur sa ligne de prod.” Et pour avoir pris le temps ces 5 dernières années de rencontrer et discuter avec des centaines de personnes exerçant tous types de job, je suis complètement convaincu qu’on peut s’éclater dans n’importe quel job. A condition d’être dans un bon environnement de travail, d’être valorisé, et de nourrir nos leviers de motivation respectifs, mais ça c’est un autre sujet.
Le rapport au travail est un sujet ultra personnel, et pour certains, la retraite restera un temps oisif désiré et le travail un passage obligatoire peu enthousiasmant. Mais ceci étant dit, je crois qu’on a besoin de récits positifs de personnes âgées qui s’éclatent dans plein de jobs différents et pour lesquels le travail, repensé sur un rythme différent et dans un cadre intéressant, contribue énormément au bien être et à l’équilibre de la personne.
Et puis si on travaille plus longtemps, il faut peut-être aussi en profiter pour réinventer la retraite tout au long de la vie. J’ai écrit un précédent billet à ce sujet sur les innovations en matière de temps de repos pour repenser la retraite, et une tribune pour Welcome to the Jungle.
News 🔥
Je n’avais pas prévu de ralentir le rythme en mai, mais comme deux jours feriés semblent avoir fait disparaître deux semaines entières, j’en profite aussi pour lever le pied.
Après une semaine intense entre Paris, Bruxelles et Marseille, j’ai filé à l’ouest me mettre au vert pour une semaine de télétravail en Bretagne. Je travaille à fond sur le prochain documentaire : au programme, beaucoup de lectures, des podcasts et la trame se dessine déjà, je commence la sélection des speakers !
En parallèle, ça fait deux ans, même quatre pour certains que j’ai le plaisir d’être entouré d’une vingtaine de personnes issues d’une poignée d’entreprises partenaires : SThree, Mazars, Orange, Safran, Lucca & Freelance.com. Et ce sont évidemment les premières au courant et avec lesquelles on débat du nouveau sujet et on prépare l’année à venir. Merci pour les discussions, et super content de renouveler les collaborations.
Une nouvelle projection de AI at Work est organisée à Paris par Freelance.com le 5 juin, je serai là pour présenter le documentaire et en débattre ! Si vous souhaitez vous inscrire, la liste d’attente est par ici (gratuit).
Côté projections publiques, je serai aussi à Casablanca le 17 mai et à Strasbourg le 30, venez si vous êtes dans les parages, il reste quelques places !
Et pour organiser une projection privée, c’est par ici.
J’ai eu la bonne surprise de découvrir la semaine dernière la critique de notre Bande Dessinée “Mais pourquoi j’irais travailler” par Le Monde.
-“Comme sa couverture labyrinthique le suggérait, il va plutôt s’attarder à démontrer combien il n’y a pas de recette miracle, et à quel point faire du travail quelque chose de positif relève d’un long cheminement personnel.” Ça nous a fait super plaisir avec Sophie !
Si vous ne l’avez pas encore lue, elle est en librairie ou en ligne ! Et si vous l’avez déjà lue, laissez-nous un commentaire pour la faire découvrir au plus grand nombre, on a besoin de vous !
Et on se quitte en audio, c’était la reprise du podcast Work Buddies avec mon amie Laetitia Vitaud. Dans notre nouvel épisode, on s’est demandé, entre utopie et dystopie, on en est où des vrais gains de productivités de l’IA ? Et ce mercredi, on parlera de formation !
Corner WIP
Vous n’avez pas eu votre dose de Work in Progress ? Passons une heure de plus ensemble. 🤗
Visionnez mon premier documentaire, Work in Progress (2021)
Visionnez mon deuxième documentaire, Why do we even work? (2022)
Visionnez mon troisième documentaire, Time to Work (2023)
Lisez la Bande Dessinée Et si on travaillait autrement ? (2022) et sa grande sœur "Mais pourquoi j’irais travailler ?” (2023)
Et surtout écrivez-moi vos retours, ils sont précieux pour la préparation des prochains projets.
Vos cadeaux pour vous remercier de partager le Billet du futur
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Bonne journée ! 🌞
Très intéressant ce sujet qui concerne les « vieux « au travail. Tout est une question de culture. Au Japon la société les a visiblement intégré dans leur outil de production. Intelligent !
J'ai adoré cette édition qui amène un regard différent sur le travail tout au long de la vie, merci Samuel !